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Audition des envois de Rome

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L’audition des envois de Rome, que je n’ai pu que mentionner dans mon dernier article, a eu lieu mardi, 23 du courant, dans la salle du Conservatoire. Elle se composait : de la 1re partie de la Nativité, poëme sacré en deux parties et un  intermède, musique de M. H. Maréchal, grand prix de 1870 ; de fragments symphoniques par Erhard, grand prix de 1874, et mort à Rome tout récemment ; et d’un Stabat mater, par M. Salvayre, grand prix de 1872.

M. Maréchal, qui vient d’obtenir un succès très flatteur à l’Opéra Comique, n’aurait pas dû présenter sa Nativité à l’appréciation du public. C’est une œuvre dépourvue de charme, mal écrite pour les voix de femme qui sont constamment poussées vers leur limite extrême dans le haut, et symphonique par-dessus tout, tandis qu’elle aurait dû par-dessus tout être vocale. Le duo entre l’ange Gabriel et Marie est froid et peu mélodique, et les belles voix de Mme Gally-Larochelle et de Mlle Armandi n’ont pu ni donner de la vie à cette glaciale composition, ni arracher un applaudissement à l’auditoire. Seul, l’intermède l’Ange du mal, très vigoureusement chanté par M. Caron et les chœurs, et ne manquant pas d’un certain entrain, a été assez favorablement accueilli.

Des fragments symphoniques d’Erhard je n’ai rien à dire. Ce jeune musicien, enlevé si rapidement à l’art qu’il honorait déjà a été écouté avec sympathie et avec un douloureux recueillement.

J’arrive au Stabat de M. Salvayre. Autant j’ai été sévère dans mes appréciations de l’Ouverture qu’il a fait entendre il y a deux ans, au concert du Châtelet, et de sa symphonie biblique la Résurrection, exécutée cet hiver dans la même salle, autant je suis heureux de constater le grand et légitime succès de son Stabat. Deux Stabat mater jouissent à bon droit d’une immense réputation, ceux de Pergolèse et de Rossini. Un maître illustre parmi tous, Haydn, en a écrit un troisième, qui est complètement oublié, et qui peut-être ne méritait guère de vivre. Eh bien ! je n’hésite pas à dire que le Stabat de M. Salvayre peut dignement prétendre à une place à côté des deux que j’ai nommés en tête. Celui de Pergolèse est écrit avec des larmes. Quoi de plus déchirant que la strophe Stabat mater, de plus touchant que Quae moerebat, de plus sublime que le Vidit suum, si admirablement chanté par Mlle Nilsson aux funérailles de Rossini, de plus grave que le Quando corpus ? Le Stabat de Rossini -  je n’ai point ici à faire l’éloge de ce chef-d’œuvre – bien que fréquemment exécuté dans les églises, est encore mieux à sa place dans les concerts. Le nouveau Stabatde M. Salvayre, au contraire, offre au plus haut degré toutes les conditions et toutes les qualités de la véritable musique d’église. A ces qualités se joint, un puissant souffle dramatique, et le Stabatcesse d’être un simple hymne pour se transformer en tragédie sacrée. L’instrumentation en est imposante et le style vocal y est toujours parfaitement respecté, même dans le finale Quando corpus, qui est écrit dans un diapason très élevé, mais sans dépasser les limites. Ajoutez à cela l’admirable exécution de la part de MmeBrunet-Lafleur, MM. Vergnet et Gailhard, des chœurs du Conservatoire et de l’orchestre dirigé par M. Deldevez. Le Pro peccatis, chanté par M. Gailhard et Mme Brunet est d’une majesté grandiose. Le Sancta Mater possède un charme et un sentiment religieux qui s’emparent de l’âme, et M. Vergnet y a été superbe. Dans les deux strophes suivantes, la première chantée par MmeBrunet-Lafleur et M. Vergnet, et la seconde par les mêmes artistes et M. Gailhard, soutenus par les chœurs, Mme Brunet-Lafleur s’est élevée jusqu’à la plus haute expression dramatique. Enfin, il faudrait tout louer dans cette composition, même l’Eia Mater, chœur en style a capella, à huit voix, quoique l’harmonie n’y soit pas toujours à huit parties réelles. Voilà pour bien des années un Stabat que se disputeront, pendant la semaine sainte, Saint-Roch, Saint-Eustache et la Madeleine.

Maintenant qu’il me soit permis d’émettre quelques observations sur le choix des compositions exécutées aux séances consacrées aux envois de Rome. Pourquoi toujours des oratorios et des morceaux religieux ? L’oratorio, sous les noms de poëme biblique, de drame biblique, de pastorale biblique, est à la mode aujourd’hui, je le sais ; mais ce genre en lui-même est froid, à moins qu’un Haendel, qu’un Haydn, qu’un Bach – et encore – ne l’anime de son génie tout puissant. Quant à la musique religieuse, quel compositeur moderne, pour grand que soit son talent, est jamais devenu populaire à force de messes ou de motets ? Où se trouve l’aimable éditeur qui de nos jours achètera ou fera paraître une messe à ses frais ? Quel est le directeur d’un théâtre lyrique qui n’hésitera pas à confier un poëme d’opéra à un musicien qui n’aura fait ses preuves qu’à l’église ? Quel est enfin même le curé qui, voulant donner de l’éclat à une solennité religieuse n’accordera pas la préférence à une messe de Mozart, de Haydn, de Cherubini, de Beethoven ou de Weber, sur celle d’un jeune compositeur, fût-ce même un prix de Rome ? D’un autre côté, pourquoi n’admettre dans ces auditions que de la musique sévère et jamais de la musique légère ? Y a-t-il moins de mérite musical et même scénique dans le Matrimonio segreto que dans Don Juan, dans le Barbier de Séville que dans Guillaume Tell ? Je sais que je pose ici une question embarrassante à laquelle bien des musiciens graves et bien des critiques aimeraient mieux ne pas avoir à répondre. Mais supposons une audition d’envois de Rome, ainsi composée : 1° Ouverture ou symphonie quelconque ; 2° fragments du Requiem de Mozart ; 3° premier acte de la Vestale ; 4° premier acte de la Dame Blanche ; 5° dernier acte de Don Pasquale ; ce fragment de Don Pasquale ferait-il tache dans l’ensemble de l’audition ?

Henry Cohen.

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Léon EHRHART

(1854 - 1875)

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(1842 - 1924)

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(1847 - 1916)

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publication date : 12/07/23