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Ambroise Thomas et sa Psyché nouvelle

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AMBROISE THOMAS ET SA PSYCHÉ NOUVELLE.

Dans le riche trésor des récits qui nous ont été légués par l’antiquité grecque, il est peu de fables, je crois, qui aient eu la fortune artistique de Psyché. Ce délicieux conte qui cache un symbolisme si profond sous sa transparente et vaporeuse poésie, semble une source inépuisable d’inspiration, où l’esprit moderne a trempé son aile tout aussi bien que le génie antique. Pas de peintre illustre, pas de sculpteur célèbre qui n’ait vécu familièrement avec la divine légende recueillie et contée, de si charmante façon par Apulée le Platonicien. Depuis les graveurs sur cornaline de la Grèce jusqu’aux peintres français modernes, tels que Gérard et David, en passant par les tableaux du Titien, de Rembrandt, de van Dyck, de Rubens et les fresques de la Farnésine de Raphaël, sans compter les statues ou les groupes de Canova, de Pradier et de vingt autres, on se fatiguerait à dénombrer les artistes dont l’imagination a été hantée par cette radieuse création du génie grec.

Ce sujet si plein de poésie, qui avait tant de fois sollicité le pinceau du peintre ou le ciseau du statuaire, ne pouvait laisser la musique indifférente. Aussi vingt compositeurs ont-ils tenté de porter à la scène une fable si délicate et si touchante.

Mais en raison même des difficultés qu’il présentait, un tel sujet devait tenter la muse d’Ambroise Thomas, esprit aussi littéraire que musical.

Il y a plus de vingt ans aujourd’hui, — c’était le 26 janvier 1857, — que l’auteur d’Hamlet et de Mignon, qui n’était alors que l’heureux compositeur du Caïd et du Songe d’une Nuit d’été, — vint présenter sa partition de Psyché au public de l’Opéra-Comique. Ciselée par le burin d’un maître artiste, fouillée comme un bijou de prix, l’œuvre était de provenance trop élevée pour plaire du premier coup à la foule des auditeurs sans éducation musicale :

Et vous, gens de l’art,
Pour que je jouisse,
Si c’est du Mozart
Que l’on m’avertisse ! 

Elle n’en fut pas moins fêtée par les délicats et resta dans leur mémoire comme une des meilleures partitions d’Ambroise Thomas, une de celles dont l’école française pouvait, à bon droit, se montrer fière et glorieuse.

Plus sévère cependant pour lui-même que ses admirateurs, Ambroise Thomas n’a pas voulu laisser reprendre son œuvre telle qu’elle avait jailli de sa première inspiration. Il a tenté de lui faire suivre l’évolution de son esprit et de la mettre au niveau de l’idéal qu’il entrevoit aujourd’hui. Écrite en vue du Grand-Opéra sous l’inspiration de M. Émile Perrin, réclamée plus tard par le Théâtre-Lyrique et recueillie par M. Carvalho, après le désastre de M. Vizentini, la nouvelle partition de Psyché est donc une œuvre profondément remaniée, mise à jour pour ainsi dire, avec une conscience rare par un maître plus soucieux de son art que de son repos.

Ce noble souci de la perfection ne devait pas aller toutefois jusqu’au sacrifice des pages applaudies de la partition primitive. La critique exercée par le compositeur sur son propre talent devait s’arrêter devant les morceaux sacrés par le suffrage des musiciens. C’est ainsi que le premier acte nous a été conservé presque tout entier avec son introduction d’un style si noble et d’une couleur antique si frappante ; avec l’expressive, mélodie d’Éros : 

Ô toi qu’on dit plus belle. 

sonnant si merveilleusement dans la grande voix de Mme Engally que la salle tout entière a voulu l’entendre une seconde fois ; avec son fulgurant finale enfin, empruntant à l’école italienne ses effets les plus larges et les plus puissants.

Les amateurs du genre retrouveront aussi dans la nouvelle partition, et très-heureusement modifié, l’air de haute comédie, chanté par le premier Mercure, et que Cimarosa signerait sans déroger. Mais ils auront à regretter le spirituel quatuor que la suppression des rôles comiques d’Antinoüs et de Gorgias a fait disparaître ; ils s’en consoleront en écoutant, deux morceaux inédits de premier choix : l’air de Psyché

Ah ! si j’avais jusqu’à ce soir
Ton divin pouvoir.

et l’andante du duo de Psyché et d’Éros avec la scène intime qui le précède :

Ô charmante merveille !

un joyau de grâce et de poésie.

Au deuxième acte le compositeur critique s’est naturellement trouvé désarmé devant le petit chœur des nymphes, dont la mélodie spirituelle, couronnée par son piquant éclat de rire, est devenue classique. On ne sera pas moins heureux d’y retrouver les couplets de Mercure :

Simple mortelle ou déesse.

d’une diction si fine et d’un comique si discret, la charmante ariette de Psyché : 

Ah ! malgré moi, j’ai peur ! 

retravaillée il est vrai et terminée avec plus d’effet ; puis le duo d’Éros et de Psyché plein de fougue et débordant de passion ; le trio des trois sœurs, d’une coupe si ingénieuse et d’un mouvement scénique si bien compris, enfin le finale avec ses clairs obscurs musicaux gradués par un maître coloriste, et, son mystérieux épithalame, enveloppant, soulevant les deux amants divins dans une atmosphère de tendresse et de volupté.

Ce morceau, d’un effet si intense, a été remis sur le métier par l’infatigable compositeur et harmonieusement modifié. Pour mieux en faire ressortir les nuances discrètes, le maître l’a fait précéder d’un chatoyant ballet et d’une chanson bachique aux rythmes accusés, aux couleurs éclatantes.

Le troisième acte tout entier est inédit, à l’exception toutefois de la ravissante romance du sommeil que son succès spontané, à la première de 1857, commandait de garder. Malheureusement l’Opéra-Comique, ne disposant que d’un bataillon de ballerines assez restreint, il a fallu supprimer la pantomime qui ouvrait l’acte, et cette fâcheuse coupure a entraîné du même coup la radiation du chœur nuptial et de l’arioso de Psyché, deux pages caressées avec amour par le compositeur-poète, sans compter la romance, consacrée par l’approbation du public, remplacée par une courte mais très-poétique invocation à la nuit. Comme compensation à ces regrettables coupures, nous signalerons la scène de « l’extase », une page d’un souffle tout moderne et d’une inspiration vraiment magnifique. Mlle Heilbron s’y élève jusqu’aux sommets de l’art lyrique.

C’est au quatrième acte peut-être que se révèlent avec le plus d’éclat les tendances nouvelles de l’auteur d’Hamlet. Je n’en veux pour preuve que la superbe évocation de Mercure, avec sa déclamation saisissante et son étrange couleur harmonique, et le grand trio, où les voix s’entrelacent en accents si dramatiques. Ce sont là deux morceaux inédits de haute valeur, montrant à nu les nobles préoccupations d’un esprit éminent, qui aurait pu, à bon droit, se réfugier dans ses succès passés pour se refuser à modifier son style et transformer sa manière.

Le public tiendra-t-il compte au maître de son large coup d’aile pour s’élever jusqu’aux pures et sereines conceptions de l’art antique ? Nous n’en voulons pas douter. La partition de Psyché n’est pas de celles qu’on écoute d’une oreille et qu’on juge en dernier ressort au milieu des distractions d’une soirée de première. C’est une œuvre forte et profonde qui ne se laisse pénétrer que par les amoureux de l’art, s’efforçant d’y appliquer les méditations auxquelles le compositeur a du s’élever pour la concevoir. Ces esprits acharnés à la recherche du beau, autrefois trop clairsemés, sont aujourd’hui nombreux. Ils ne se laisseront pas dérouter par de puériles préventions contre la destination d’un théâtre qui appartient, après tout, aux compositeurs de Joseph, de Zampa et de l’Étoile du Nord avec autant de droits qu’aux auteurs du Tableau parlant et du Maçon.

Si toutefois ils avaient encore à se défaire d’un préjugé, qui finirait par causer la ruine de notre art lyrique national, la moitié de l’effort leur sera certes épargné par l’interprétation tout à fait digne de l’œuvre, que M. Carvallio a su donner à la Psyché nouvelle.

La beauté sculpturale de Mlle Heilbron, son visage aux lignes si pures, son regard pénétrant en font une Psyché merveilleuse qui ne rend nullement invraisemblables les jalouses fureurs de Vénus. C’est un marbre de Canova, animé par cette étincelle divine que l’Amour fait jaillir de son cœur. Puis, quelle diction claire, quelle exécution brillante et expressive, quelle sûreté de musicienne. Un peu troublée peut-être au début de son rôle, la vaillante artiste n’a pas tardé à prendre confiance en voyant à quel point sa personne et son talent avaient conquis le public et jusqu’à la fin de la soirée elle s’est montrée constamment supérieure à elle-même dans ce rôle de Psyché dont Mlle Lefebvre, aujourd’hui Mme Faure, a été la si gracieuse créatrice en 1857.

On connaît l’admirable voix de Mme Engally et nous en avons déjà dit l’effet dans la mélodie du premier acte. Ce que nous n’avons pas dit encore, c’est que ce mezzo-soprano, d’une étoffe si précieuse et si solide à la fois, a su trouver dans le rôle d’Éros des inflexions d’une tendresse et d’une délicatesse qui semblaient incompatibles avec sa nature âpre et passionnée. Aussi a-t-elle non-seulement enlevé, mais charmé son auditoire. Ajoutons qu’elle donne un tour original, personnel et très-scénique à cet Éros si admirablement créé par Mme Ugalde. 

Si M. Morlet n’a pas toute l’ampleur vocale que le rôle de Mercure— écrit pour Bataille et amplifié pour Faure, —demanderait peut-être à certaines pages de la partition, en revanche, que de tenue, de finesse et d’esprit. Aussi, comme sans effort et sans recherche, il a su dire avec style tout son rôle, et notamment les couplets si attiques du deuxième acte. On les lui a redemandés d’une voix unanime, bien que l’on vint de bisser à l’instant même le chœur des nymphes, interprété d’une façon exquise par une phalange de jeunes élèves du Conservatoire.

Mais les soins de M. Carvalho n’ont pas seulement porté jusque dans les moindres détails sur le personnel chantant, dirigé avec tant de zèle et de compétence par M. A. Bazille : — témoin les petits rôles des deux sœurs confiés à des artiste tels que Mmes Irma Marié et Donadio Fodor ; celui du roi, dignement tenu par M. Bacquié ; — sa sollicitude s’est aussi portée sur l’orchestre et les chœurs. La troupe chorale gouvernée par M. Heyberger a été doublée depuis un mois, sans compter qu’elle est venue se grossir provisoirement de vingt voix jeunes et fraîches, envoyées par le Conservatoire pour le chœur des nymphes.

L’orchestre aussi s’est augmenté d’importantes recrues, les instruments à cordes, à la tête desquels se place le violon solo de M. Croizilles, ont été complétés par le jeune et vaillant chef d’orchestre, M. Danbé, qui a vu s’accroître encore sa bande symphonique de plusieurs artistes de tout premier ordre : M Espaignet, basson, M. Brémond, cor, MM. Bruyant et Sautet, hautbois. N’oublions pas l’éminent virtuose-harpiste Hasselmans, un nouveau venu aussi à l’Opéra-Comique.

Les dessins de M. Th. Thomas, ainsi que les décors de MM. Lavastre aîné et Carpezat (1er acte), de MM. Rubé et Chaperon (2e et 3e actes), et celui si artistique de M. Lavastre jeune, au 4e acte, — décor qui se transforme au dénouement pour l’apothéose de Vénus, — sont dignes du splendide ensemble musical de la Psyché nouvelle de MM. Ambroise Thomas, Jules Barbier et Michel Carré.

Aussi le grand public dilettante de Paris,— celui des concerts du Conservatoire, des séances Colonne et Pasdeloup,— s’empressera-t-il de venir entendre cette œuvre de maître si finement ciselée, si richement encadrée. Il viendra et reviendra salle Favart, partition en main, car la musique de Psyché, nous l’avons dit, appelle la lecture, la méditation, tant les beautés de détail et d’ensemble en sont fouillées, étudiées et d’une clarté absolue pourtant. Cette clarté tient à ce qu’il n’y a abus ni excès d’aucun effet dans la partition de Psyché. Elle est bien le type du goût français, et c’est ce goût contenu, dans la note gaie tout comme dans la phrase dramatique la plus saisissante, qui distingue et place si haut l’école lyrique française à l’étranger.

Et notons qu’au-delà de nos frontières on ne se paie ni de nos éloges, ni de nos critiques plus ou moins précipités, on étudie, on médite nos partitions et l’on se garde bien de demander à nos œuvres sérieuses des velléités d’opérette. Chaque genre y possède son théâtre, son public, et en Allemagne, notamment, vous rencontrez tout un monde de dilettantes heureux de s’intéresser aux belles pages d’une partition, sans préoccupation du moindre mot pour rire. Témoin le Freischütz, de Weber. Cette œuvre immortelle est cependant venue au monde sous l’estampille de l’opéra-comique, tandis qu’en Italie est né, sous la forme de l’opéra, le pétillant Barbier de Séville, de Rossini.

Mais en France, qui se plaint aujourd’hui de la transformation du Faust de Gounod en grand opéra ? C’était pourtant, dans l’origine, un opéra-comique. Que l’on a donc bien fait d’en supprimer le « parlé » pour le remplacer par des « récits » ? Croit-on de bonne foi, à l’Opéra-Comique même, qu’Hérold vivant, Zampa conserverait le texte démodé qui en dépare la superbe partition ? Allons ! Allons, il faut savoir être de son temps et laisser d’autant mieux la scène Favart se mouvoir dans les divers genres de demi-caractère, que le Théâtre-Lyrique n’est pas encore reconstitué, — ce qu’il faut se garder d’oublier. 

H. MORENO. 

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Journalist, Editor

Henri HEUGEL

(1844 - 1916)

Composer

Ambroise THOMAS

(1811 - 1896)

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