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Revue musicale. Édouard Lalo et Namouna

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Revue musicale
Quelques mots à propos du Roi d’Ys, non pas sur l’ouvrage, mais sur le compositeur et sur le ballet Namouna. […]

Je regrette que la première représentation du Roi d’Ys, de M. Lalo, à l’Opéra-Comique, qui devait avoir lieu vendredi, ait été renvoyée à ce soir, lundi, quand ce feuilleton aura déjà paru. Il me faudra attendre toute une longue semaine pour rendre compte de l’ouvrage, en dire tout le bien que j’en pense, la Revue musicale ne paraissant ici que le lundi. Il n’est point convenable de parler d’une œuvre nouvelle d’après la répétition générale, bien que celle du Roi d’Ys n’ait différé d’une première représentation que parce qu’elle n’était pas faite devant un public payant. La salle était si comble qu’une fois les invités casés, on a eu bien de la peine à placer quelques-uns des critiques. Décors, costumes, rien ne manquait, la claque exceptée – qui, d’ailleurs, eût été inutile, sa besogne ayant été faite par la très nombreuse assistance, spontanément, intelligemment. Ces applaudissements n’ont été que plus flatteurs ; ils n’ont pas moins éclaté, bruyants et unanimes, à presque tous les morceaux, ainsi que les rappels réitérés des artistes à la fin de tous les actes, de tous les tableaux. On eût même voulu bisser tel ou tel morceau, ce qui eût été assez étrange pour une répétition générale et eût fatigué indiscrètement les interprètes de l’œuvre. Il n’importe ; cet excellent M. Lalo a dû être bien satisfait de ce succès anticipé qui, sans doute, s’affirmera davantage ce soir. M. Paravey se félicitera de débuter si brillamment pour les ouvrages nouveaux de sa gestion. La direction de l’Académie de musique ayant laissé échapper, je ne sais pourquoi, cet opéra écrit pour elle, M. Paravey est venu à point pour dédommager le compositeur. Uno avulso non déficit alter…

Ce n’est pas la première fois que j’ai eu à faire l’éloge du beau talent de M. Lalo dans les colonnettes de ces feuilletons ; il me souvient même de ne pas le lui avoir marchandé pour sa gracieuse partition du ballet Namouna. J’ignorais alors l’existence de ce pauvre Roi d’Ys, qu’on renvoya aux calendes grecques sous prétexte peut-être qu’on avait déjà présenté un roi au public de l’Opéra, celui de Lahore, et que dans un pays où fleurit le régime républicain il serait malséant d’abuser des « tyrans », fussent-ils moins exotiques que celui de Lahore.

Le nouveau directeur de l’Opéra-Comique n’a pas eu de pareils scrupules. Ayant tâté le terrain pour la reprise du Roi malgré lui, de M. Chabrié [sic], et s’étant assuré que ce titre, pour si liberticide qu’il pût paraître, ne choquait pas trop le bon public, il prit sur lui de nous présenter un autre roi qui ne le fût pas à son corps défendant, comme le Valois appelé à régner en Pologne. Il a bien fait.

Quant à la singulière façon dont l’Académie de musique se comporta envers M. Lalo, mettant de côté la partition – si louée pourtant ! – du Roi d’Ys, et lui commandant à la place celle d’un ballet, sans savoir si le musicien s’accommoderait de cet échange – ou plutôt sachant qu’il en serait vivement contrarié on la connaît désormais. M. Frantz Jourdain nous a raconté, dans un très curieux et très intéressant article du Figaro, les angoisses et les tortures de l’infortuné compositeur, antipathique, paraît-il, à ce genre de musique qui l’obligeait à forcer son talent, à l’assujettir à un travail de paquetage, le mettait enfin à la merci du chorégraphe. On objectera que M. Lalo aurait pu, aurait dû ne pas accepter. Que celui de nos musiciens qui, après une interminable attente, voit s’ouvrir enfin, d’une façon ou de l’autre, les portes de notre première scène musicale, et se refuse à y entrer, surtout si on lui dit que « c’est à prendre ou à laisser » ; celui-là lui jette la première pierre.

Notez que ce n’est qu’instinctivement, pour ainsi parler, que M. Lalo appréhendait d’écrire la musique d’un ballet, car, d’après ce que dit mon excellent confrère, je dois croire qu’il ignorait complètement quelles servitudes elle impose, quels déboires elle traîne derrière elle. Citons « Là où le compositeur, dit M. Jourdain, avait mis un andante on voulut un allegro, là où il y avait un presto l’art chorégraphique exigeait impérieusement un maestoso ; ainsi de suite. Car ce n’est ni le musicien ni même le librettiste qui est maître dans son ballet, c’est le metteur en scène, et rien que lui, sans appel et sans partage… » (metteur en scène est peut-être un peu dur pour le chorégraphe. Continuons :) « Ici il fallait remplacer un rythme de 6/8 par un mouvement de 2/4 ; plus loin un motif de vingt mesures était trop long et ne pouvait en contenir que seize pas une de plus, pas une de moins, tel passage devait au contraire être doublé, etc. »

Mais c’est ce qui se passe d’ordinaire pour toute musique de ballet : ceux qui écrivent cette musique-là le savent bien, ce qui ne les empêche, tout en se tordant sur ce lit de Procuste, d’en composer parfois d’excellente. Celle de Sylvia, de Coppélia, de la Source, pour ne rappeler que ces ballets, n’est pas si à dédaigner. M. Léo Délibes [sic] n’a pas maigri à la peine, – au contraire.

Autre point : si je partage l’avis démon confrère pour tout ce qu’il dit si bien sûr M. Lalo, sur son beau talent et sa carrière qui aurait pu être si féconde si on ne l’avait constamment entravée, je plains moins le sympathique compositeur pour la rapidité avec laquelle il lui fallut écrire la musique de Namouna, rapidité qui ne me parait pas déjà si exagérée. – « On était, dit encore M. Frantz Jourdain, au 30 juillet, et il fallait que la partition fût remise le 31 octobre, dernier délai. Trois mois pour composer et créer de toutes pièces une œuvre de longue haleine. Pour un homme qui a le respect de son art et de lui-même c’était exiger que la colonne Vendôme apprît à marcher le chapiteau en bas et la base en l’air. » Lalo accepta, sachant, disait-il, qu’il choisissait le suicide. « Ce ne fut pas la mort qui vint, mais la paralysie. »

Mettons qu’il y ait des compositeurs écrivant plus facilement, plus rapidement ; d’autres qui craignent de ne faire rien qui vaille s’ils sont talonnés par le temps et que M. Lalo soit de ces derniers, ce qui ne l’amoindrirait nullement. Mozart et Rossini composaient très vite, Weber et Meyerbeer très lentement. Ils ont néanmoins enfanté Don Juan et Guillaume Tell, le Freitschutz [sic] et les Huguenots. Pour citer un maître contemporain, et n’en citer qu’un, Verdi n’a pas cru manquer au respect de l’art et au respect de lui-même en écrivant dans la même année, coup sur coup, deux opéras : Rigoletto et la Traviata, cette dernière en deux mois de temps ! À ceux qui feraient fi de ces deux ouvrages, il suffira de rappeler que leur succès s’est maintenu depuis bientôt une quarantaine d’années et qu’ils figurent aujourd’hui encore sur l’affiche de nos grandes scènes lyriques : Rigoletto à l’Opéra, la Traviata à l’Opéra-Comique.

Adolphe Adam aurait cru être un grand paresseux s’il avait mis plus de trois mois pour composer la musique d’un ballet voire celle d’un opéra-comique en trois actes. Et il y a de lui des ballets qui valent bien ceux qu’on nous donne aujourd’hui. Question de tempérament. Les uns écrivent en improvisateurs, les autres lentement, patiemment. Le respect de l’art ou de soi-même n’a rien à faire là-dedans. Trois mois n’étaient rien pour M. Lalo qui perdit la santé à travailler dix-huit heures par jour. Ils auraient paru plus que suffisants à l’auteur du Diable à quatre ou de Giselle. N’oublions pas qu’on ne donne que quelques semaines aux infortunés concurrents du prix de Rome, lorsqu’on les met en loge, j’allais dire en cage, tête à tête avec le texte d’une Cantate, qui équivaut à un bon acte d’opéra. Ils doivent créer leur partition « de toutes pièces », et l’orchestrer. Ils ne s’alitent pas après l’épreuve, que je sache. Et ce sont des élèves.

… Mais je m’attarde à bavarder sur le musicien qui sera demain un triomphateur, et j’oublie que j’ai à rendre compte d’un bon nombre d’exécutions musicales, de concerts, etc. Pourvu que j’arrive à parler des plus intéressants ! […]

M. de Thémines.

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Librettist, Journalist

Achille de LAUZIÈRES-THÉMINES

(1818 - 1894)

Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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