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Namouna de Lalo

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L’Actualité

Namouna

L’Opéra a donné la première représentation de Namouna, hier soir. Parole d’honneur ! C’est invraisemblable, mais c’est ainsi et, qui qu’on ait pu croire, M. Vaucorbeil n’a jamais eu l’intention d’enterrer dans le grand Père-Lachaise de l’oubli l’œuvre de M. Lalo.

Le 15 février dernier, Fichtre a déjà eu l’avantage de vous expliquer que la principale cause de retard avait été la crampe des danseuses qu’avait attrapée Mlle Sangalli, dans un balloné trop passionné. On accusât Mlle Sangalli, à cette époque, de vouloir tirer celte crampe en longueur. Pure calomnie. Mlle Sangalli, au contraire, se rongeait les poings d’impatience sur sa chaise-longue de douleur.

De son côté, M. Lalo, qui était également couché – tout le monde était au lit dans l’affaire de Namouna, – bisquait tellement de son inaction forcée qu’il en dévorait ses moustaches.

Enfin, comme Shakespeare l’a dit en anglais il y a que bues années, tout est bien qui finit bien.

*

Ce n’est pas à moi qu’il appartient de rendre compte de Namouna au point de vue musical, pas plus qu’au point de vue chorégraphique.

Donc, quelques mots seulement sur ses principales interprètes.

De Mlle Rita Sangalli, j’ai dit tout ce qu’on pouvait dire : Dans l’article auquel je faisais allusion tout à l’heure, j’ai fait sa biographie, j’ai décrit l’état douloureux de ses pauvres pieds, j’ai dépeint son hôtel, ses deux salons rouge et jonquille, jusqu’à son peignoir à ramages.

*

Passons donc tout de suite à Mlle Subra.

Mlle Subra, qui, il n’y a pas plus de six mois, était encore une simple nébuleuse, est maintenez presque passée étoile. C’est à elle qu’est échu l’héritage de Mlle Beaugrand dans l’ennuyant ballet d’Hamlet. Elle y a été charmante. Elle est toujours charmante, d’abord.

À ses agréments personnels, Mlle Subra joint l’avantage supérieur d’être la danseuse la plus « calée » de l’Opéra. Hôtel, diamants, chevaux, elle a tout. Ce qui prouve qu’on arrive à Ia fortune en économisant ses appointements, et aussi en faisant de bonnes spéculations avec des Belges.

Mlle Subra a dû trouver hier que quelqu’un manquait dans la salle… N’insistons pas.

*

Mlle Biot, – dans Namouna, Mlle Alice Biot porte le singulier nom d Andrékès. On voit que nous sommes en pleine Grèce. La première fois que Mlle Biot enchaînera quelque gommeux à son char, et je ne doute pas que ce ne soit bientôt, on pourra parler d’Andrékès et son lion, ce qui sera extraordinairement spirituel.

Mlle Biot n’est pas, d’ailleurs, de ces danseuses qui vous ont l’air évaporé. À la ville, elle a l’aspect aussi bourgeois que la rue des Batignolles dont elle porte le nom.

*

Mlle Mercédès. – Encore un rôle à nom outrageusement grec. Ce nom est Kaïnitza.

Très jolie personne, Espagnole pour de bon. Il n’y a pas bien longtemps que Mlle Mercédès a eu la pure joie d’être mère. Son fils, – c’était un fils, – a été baptisé solennellement. Tout le corps de ballet de l’Opéra assistait à la cérémonie, et c’était Mlle Mauri qui, en sa qualité de compatriote, était marraine.

Un bien mauvais exemple que vous aviez là sous les yeux, mademoiselle, vous qui êtes si sage !

Bien que Castillane, Mlle Mercedes gite beaucoup les Français, et elle l’a prouvé, la gentille senorita !

*

Mlle Juvernizzi. -Voici enfin un personnage au nom possible. Dans Namouna, Llle Juvernizzi s’appelle Héléna.

Elle est aussi italienne que Mlle Mercédès est espagnole, et c’est à Milan qu’elle a été engagée par M. Vaucorbeil, en même temps que sa camarade Ottolini.

Toutes deux vous ont des yeux de velours noirs mais avec des cils si grands qu’on pourrait y faire des nœuds.

*

Citons encore la belle Monchanin, la Vénus de Milo avec des bras, – et de bien beaux bras ; la petite Bussy, qui n’est pas beaucoup plus haute qu’une canne, mais qui a près de quarante ans. Mlles Fatou, Piron, Still 1re et Still 2e, une brune et une blonde faites pour être aimées ou pendant ; Larrieu, Keller, Lapy, Moïse, Laurent, les sœurs Rossi, – rien du tragédien célèbre qui faisait de si drôles de grimaces dans Othello.

Vous ne tenez pas, n’est-il pas vrai, à ce que je vous parle du côté des hommes ? Chacun sait que M. Mérante a débuté à l’Opéra en 1848, et que M. Pluque faisait déjà des jetés-battus à l’époque où Mlles Rossi n’existaient pas même en projet.

*

Un mot des décors, toujours sans toucher au libretto ni à la musique.

Le premier tableau, de MM. Rubé et Chaperon, représente un casino à Corfou. Salle d’un ancien palais qui a conservé quelques restes de sa première splendeur. Au fond, une large fenêtre donnant sur la mer, par laquelle on voit, dans un rayon de lune et à la clarté des étoiles, une tartane mouillée au pied de la terrasse.

Au second tableau, – toujours de MM. Rubé el Chaperon, – nous sommes sur une place publique de Corfou. Au fond, la Méditerranée toute bleue et lumineuse. À droite un palais, dont les immenses fenêtres s’ouvrent sur un large balcon de pierre. À gauche, une hôtellerie, avec une terrasse et un portique à l’italienne.

Le second acte ne comprend qu’un seul décor de M. J.-B. Lavastre. – Une plage dans une île de l’Archipel, celle que vous voudrez. Des tapis d’Orient sont étendus sous les branches d’un platane, et forment un abri contre les rayons du soleil qui plaque çà et là de larges tâches d’or. Au milieu des débris d’un temple antique, une habitation orientale, qui produit le plus heureux effet. Çà et là des blocs de pierres moussus, des marbres couverts de lierre, des ruines où sont écloses des fleurs.

*

Bah ! je puis bien aussi, toujours sans gêner mon collaborateur théâtral, passer en revue, – en deux temps et quatre mouvements, – les principaux pas de Namouna.

Premier acte. — La Bouquetière, par Mlle Sangalli, MM. Mérante et Pluque.

La Fête des palmes, divertissement. Les Ioniennes, par Mlles Bussy, Monchanin, Biot, Ottolini, Moïse, Keller, etc.

La Charmeuse, par Mlle Sangalli et M. Mérante.

Le joueur de mandore, par une partie des susnommées et M. Vasquez, qui saute jusqu’au cintre.

La Roumaine, par Mlle Sangalli.

Deuxième acte. — La Sieste des Esclaves, par Mlles Subra, Adriana, Ad. Mérante, Lapy, Bussy, Larrieu, Monchanin, Ottolini, etc.

Les Fleurs, par Mlle Sangalli, M. Mérante et les quadrilles.

Les Forbans, valse générale.

L’Orgie, quadrille échevelé.

Et la Coupe, par Mlle Sangalli.

*

À moitié remplie seulement cuidant le Comte Ory, qui précédait le ballet, la salle était pleine à crouler lorsque le rideau s’est levé sur le premier tableau de Namouna.

À son grand désespoir, la reine d’Espagne n’avait pu avoir l’avant-scène deux, qu’elle sous-Ioue habituellement, en concurrence avec M. Cahen d’Anvers, à la famille Aguado, Hier soir, c’était M. Gambetta « lui-même » qui trônait dans cette avant-scène, en compagnie de la famille Hecht et de M. Joseph Reinach. Comment l’ex-président du conseil était-il dans la loge Aguado ? Mystère ! Quel était son but en venant voir Namouna ? Évidemment d’étudier la question grecque ?

Dans une loge de premier rang, le duc de Fernan Nunez et le marquis de la Mina, son fils arrivé d’Espagne le matin même. Dans celle de M. Grévy, M. Duclerc et sa famille.

Aux premières et à l’amphithéâtre les princesses d’Hénin et de Sagan, la marquise d’Estissac, lady Shaftesbury, la comtesse de Fénelon, la marquise de Villeneuve.

Aux secondes loges et à l’orchestre, MM. Camille Doucet, Perrin, de Camando, les barons Aphonse et Gustave de Rothschild, Dumas, Meissonnier, Detaille, les princes Troubetzkoy et Galitzin, Jules Simon, l’amiral Peyron, A. Thomas, Lassalle, Sellier, le prince d’Alsace, toute la critique, et tous les vieux messieurs à grosses lorgnettes et à crânes chauves qui suivent d’un œil cuisant les staccati et les pointes du corps du ballet.

*

Quelques toilettes :

Madame de Vallourbrosa. — Tablier en dentelle blanche tombant sur satin ivoire. Corsage princesse drapé sur les hanches, en étoile pareille.

Mme de Baye. — Jupe en salin broché bleu saphir toute unie devant, traîne en velours rattrapée, au milieu, corsage-habit garde française.

Lady Shaftesbury. — Robe courte à devant et panneaux en satin gris argent bordés de broderies, corsage en peluche bleu pâle formant derrière un habit long à grands plis plats.

Mlle Mauri. — Robe en satin noir, garnie de trois volants de Chantilly, tombant sur une dentelle d’or.

Mlle Bloch. — Tablier en satin plissé à l’écossaise grenat clair, corsage en velours de Gênes grenat foncé orné de dentelle, etc.

En somme, autant de toilettes, autant de modes différentes. On peut dire que toutes les époques et tous les styles étaient réunis dans la salle de l’Opéra.

*

Ne quittons pas le foyer de la danse sans enregistrer une petite histoire qui paraissait amuser considérablement toutes ces demoiselles.

L’une de celles qui dansent sur le devant de la scène, dans la valse dont il est question plus haut, avait depuis quelque temps un amoureux âgé, qui lui avait, sans marchander, donné un petit hôtel près du parc Monceaux, trois chevaux, et toutes sortes d’accessoires, sans avoir obtenu, en échange de tant de bons procédés, autre chose que de vagues promesses.

Avant-hier, l’impatience le prenant, il voulut détendre la situation, et il devint tout à fait pressant, – si pressant que la petite s’arma d’une grosse cravache et elle le mit dans un tel état qu’il lui a été impossible d’assister à la première représentation de Namouna.

Voilà pourquoi le fauteuil no deux cent et quelques est resté vide pendant toute la soirée.

Fichtre

[…]

La Soirée parisienne

Théâtre de l’Opéra : Namouna, ballet en deux actes, livret de MM. Nuitter et Petitpa, musique de M. Lalo.

Sont-ce les retards successifs apportés à la représentation de Namouna, mais jamais le public de l’Opéra ne fut dans d’aussi mauvaises dispositions, pareillement nerveux et irritable.

C’est ce qui explique comment à diverses reprises des passages ont été chutés ; des sifflets même, musique rare à l’Académie de musique, se sont faits entendre lorsque le régisseur, à l’issue du spectacle, a nommé l’auteur de la musique.

Abstraction faite de la valeur de l’œuvre que je vais essayer d’apprécier tout à l’heure, je suis persuadé que M. Lalo a, pour une cause ou une autre, des ennemis nombreux qui n’ont pas été fâchés de saisir cette occasion.

Il est vrai que la claque s’est montrée comme toujours d’une maladresse rare et que ses applaudissements malencontreux ont accentué encore la résistance d’une partie de la salle.

Mais résumons en quelques lignes le prétexte à musique de MM. Nuitter et Petitpa.

Un gentilhomme, Ottavio, et un marin, Adriani, ont joué entre eux une grosse parrtie. Le gentilhomme a complètement mis à sec l’homme de mer ; non seulement il lui gagné son argent et son navire, mais jusqu’à Namouna, son esclave favorite, qu’on amène voilée sur le terrain de cette grosse partie.

Ottavio est un vrai grand seigneur. Sans même regarder l’esclave, il lui rend la liberté et lui donne tout ce qu’il vient de gagner à Adriani, y compris la tartane à l’ancre.

Il est conforme aux traditions que la captive devienne amoureuse de son libérateur et celle-ci n’a garde d’y manquer.

Namouna est une fille reconnaissante ; elle conjure les mauvais desseins d’Adriani qui veut prendre une revanche sur son partenaire l’épée à la main et, déguisée en bouquetière, se jette au milieu des deux hommes et rend le duel impossible.

Plus tard, elle sauve encore la vie à Ottavio ; le marin a soudoyé deux malfaiteurs pour tuer son rival ; mais Namouna veille sur son bien-aimé. Des hommes à elle accourent, mettent en fuite les coquins et portent Ottavio, malgré sa résistance, à bord de la tartane où l’attend la jeune femme.

Namouna a conservé son masque, et la tartane les conduit dans une île de l’Archipel. Ils débarquent au milieu d’un marché d’esclaves, où elle reconnaît nombre de ses anciennes compagnes.

Mais Adriani a trouvé leur piste ; il arrive à son tour dans l’île, s’empare d’Ottavio qu’il va livrer à la mort.

L’esclave amoureuse intervient et assure une fois de plus le salut d’Ottavio. Elle et ses compagnes grisent les soldats et pendant que ceux-ci sont plongés dans l’orgie, Namouna et Ottavio vont s’échapper sur une barque.

Adriani veut s’élancer à leur poursuite, mais Totis, une femme de chambre de Namouna le poignarde.

Désormais plus d’obstacle aux amours de Namouna et d’Otlavio :

Voilà nos gens rejoints et je laisse à penser

De combien de plaisirs ils payèrent leur peine

Comme on le voit, il ne manque pas dans ce scénario de situations qui auraient prêté à la mélodie et aux tournures gracieuses dans l’orchestration. Hélas ! ce sont là des qualités qu’il ne faut pas demander à M. Lalo ; chez lui l’inspiration est remplacée par la science et la science engendre quelquefois l’ennui et la monotonie mais point la mélodie. Si la partition se relève un peu, l’orchestration et la partie descriptive, vous y chercherez vraiment un seul de ces motifs qui pénètrent, qui parlent aux sens ; vous n’y rencontrerez pas davantage un morceau rythmique original destiné à survivre.

Le défaut capital de ce ballet, c’est de ne pas contenir un seul air de danse, — j’entends un air de danse vraiment bien venu.

Je n’ai pas à révéler au public le talent déjà apprécié de Mmes Subra et Biot et de M. Mérante ; je ne crois pas qu’il soit possible de réunir plus de grâce, d’agilité et de souplesse que la Sangalli : c’est un feu d’artifice des jambes et, malgré le peu de relief, le peu de soutien de la musique, les pas de la Charmeuse et de la Coupe ont charmé et enivré un public pourtant bien réfractaire ce soir.

H. B.

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Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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