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Namouna de Lalo

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CHRONIQUE THÉÂTRALE

Opéra. — Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, de MM. Nuitter et Petipas, musique de M. Lalo.

M. Lalo a beaucoup d’amis. Il le mérite par son caractère et par son talent. C’est un musicien consciencieux, convaincu, ayant la foi, poursuivant un idéal et ne sacrifiant pas à la popularité. Entendons-nous pourtant sur ce point. Ainsi que la plupart des adeptes de la jeune école, M. Lalo dédaigne la popularité vulgaire, le suffrage universel de la musique, mais il n’est pas à l’abri des influences de milieu. Comme ces hommes politiques insensibles à l’encens grossier de la foule, prenant même une sorte de plaisir à le repousser, mais singulièrement accessibles aux flatteries de leur entourage, l’auteur de Namouna et de la Rhapsodie norvégienne n’est pas sans subir les reflets de la petite église dans laquelle il officie.

La mode actuelle veut que pour éviter la banalité on surcharge l’orchestration au point de faire emporter le canevas par les broderies. Nous ne sommes plus à cette époque primitive où l’architecture simple, pourvu qu’elle fût grandiose en ses proportions, pouvait paraître de bon goût. Il nous faut des festons, des astragales, des ogives, des moulures, des sculptures en groupes ; et la cathédrale de Milan, avec ses mille statues et sa voûte trompe-l’œil, pêcherait encore par l’ampleur de ses proportions. L’ensemble est maintenant l’accessoire ; c’est le détail qui doit d’abord frapper le regard… ou l’ouïe.

Que produit l’ensemble ? Une impression. Le vulgaire en peut être saisi. C’est l’âme qui est mise en mouvement. L’âme ? Une variété de l’instinct, comme qui dirait une sensation de brute.

Le détail ? À la bonne heure, cela s’adresse à l’intelligence. La science, le calcul, l’effort cérébral, la discussion du pour et du contre, toutes choses que le premier venu ne pourrait se permettre. Voilà ce qui doit distinguer l’initié du profane.

Par une belle nuit d’automne, sous la lune impassible, vous vous laissez bercer dans une barque, au gré des flots. Partout règne l’immensité. Le vent vient du large et mêle ses longs soupirs au ronflement des vagues. Celles-ci se brisent avec un son plus puissant sur la plage, devenue muette comme il convient au séjour des hommes, lorsque, des profondeurs de l’Océan, s’élève une voix mystérieuse. Vous vous sentez remué jusqu’aux fibres les plus intimes de votre être. Qu’est-ce que cela démontre ? Un pêcheur breton ou napolitain, ne sachant ni lire ni écrire, éprouve les mêmes sensations ; un chien, couché au fond de la barque, les reflète dans son œil intelligent. Ce ne sont pas jouissances d’homme civilisé. Allez donc reconnaître, là-dedans, la partie de la flûte, celle des cymbales et celle du saxophone ? Et si vous ne les reconnaissez pas, comment déciderez-vous qu’elles ont été combinées selon la dernière formule ?

M. Lalo est savant. Personne ne le peut nier. Il a écrit des symphonies applaudies. Il a même fait deux opéras dont l’un, le Roi d’Ys, possède une ouverture que la Société des concerts du Conservatoire a plusieurs fois exécutée. Cet honneur mérité lui a valu des jaloux et des admirateurs. « Quelle science, ont dit ces derniers, et quelle originalité. » M. Lalo, flatté, a voulu se montrer de plus en plus savant et original. Voilà comment il est arrivé à composer un ballet dont le premier tort est de se soucier assez peu de la danse.

En général, les amateurs de chorégraphie ne vont pas à l’Opéra pour insister à une brouille entre Euterpe et Terpsichore. La première de ces deux muses estime peu la seconde, nous le savons ; elle la considère comme d’essence inférieure et le lui prouve souvent ; mais lors qu’elle condescend jusqu’à lui tenir compagnie, la bienséance et l’intérêt commun exigent qu’elle lui fasse bon visage, qu’elle cherche à régler son pas sur le sien, qu’elle soit vive, légère, alerte et gaie, qu’elle renonce à toute prétention ; en un mot, qu’elle se montre bonne fille. Cela n’exclut pas d’ailleurs l’élégance, le bon goût, l’originalité, ni même cette science modeste qui se contente d’être la servante, la femme de chambre de l’idée musicale, de la parer, de l’habiller, de mettre en lumière tous ses charmes, sans chercher à se faire admirer elle-même.

Des compositeurs que l’on peut sans l’offenser donner à M. Lalo, sinon comme modèles, au moins comme exemples, ont consenti à faire danser sur de la musique de danse. Est-il rien de plus simple, de plus charmant, de mieux harmonisé que ce ballet de Don Juan ? Y voit-on la moindre trace d’effort ou de prétention ? Nous n’oserons pas parler du ballet de Robert le Diable parce qu’en général, dans la jeune école, ou eu trouve les motifs vulgaires ; cependant le nom de Meyerbeer est de ceux qu’on peut invoquer auprès de M. Lalo.

Justement Namouna commence comme Robert le Diable. Deux jeunes seigneurs jouent l’un contre l’autre. Ottavio montre en un perpétuel sourire les dents du blanc le plus pur ; Adriani fronce les plus noirs sourcils. On voit d’un coup d’œil que le premier doit gagner et le second perdre. C’est fatal, avec une pareille bouche d’un côté et de pareils sourcils de l’autre. En effet, Adriani perd son argent, son navire qui est là tout gréé dans le port, et chaque fois, grossissant l’accent circonflexe de son nez, il blasphème à sa façon, tandis qu’à la sienne Ottavio se réjouit avec une exubérance de mauvais goût. La scène se passe dans le Casino de Corfou au dix-septième siècle, dit le programme. Alors comme aujourd’hui, paraît-il, on trouvait dans les casinos des dames brunes et blondes fort aimables avec les gagnants. C’est – outre la musique – en cela que Namouna diffère de Robert le Diable : l’or n’y est point une chimère.

Malgré l’amabilité des dames brunes et blondes pour don Ottavio, Adriani n’hésite pas à lui offrir, comme enjeu d’une dernière partie, son esclave Namouna en échange des cassettes d’or et de pierreries, du navire à l’ancre et aussi des syrènes de casino, qui, en cas de perte, passeraient du côté des sourcils noirs. Beaucoup seraient flattées d’être appréciées à si haut prix. Namouna trouve le procédé offensant. Elle fait une scène à son maître, qui devrait être reconnaissant, car il est rare de voir une jolie femme préférer la société d’un homme désagréable et ruiné à celle d’un brillant cavalier cousu d’or. Pourtant, Adriani se fâche ; c’est Ottavio qui se fait prier. Cela se conçoit d’autant mieux que l’esclave est voilée et que, par conséquent, il ne peut savoir s’il ne s’agit pas d’une duègne au menton bourgeonnant. Il est même probable qu’il se méfie. En effet, après avoir gagné le coup, il ne lève même pas les voiles de Namouua, sans doute de peur de faire rire la galerie ; il aime mieux la renvoyer en lui donnant tout ce qu’il possède, en compensation de l’offense.

Tel est le prologue. Il commence après un court prélude d’orchestre contenant seulement deux motifs ébauchés que nous retrouverons plus tard avec les développements d’usage ; il se déroule sur une seule symphonie dans laquelle le compositeur s’est efforcé de peindre les sentiments des joueurs et de Namouna ; il se termine par les développements d’une longue et lente ritournelle chargée de relier le premier au second tableau, ritournelle qui contient une jolie phrase pour violons et basses mais que le publie n’a pas écoutée.

Les danses proprement dites ne commencent qu’a second tableau. Celui-ci se passe sur la place publique de Corfou.

Le décor, de MM. Rubé et Chaperon, est beau. À gauche une hôtellerie, à droite un palais, au fond la mer. Sur la terrasse du palais se trouve Mlle Invernizzi représentant une belle princesse à laquelle Ottavio fait la cour. À défaut de la tartane qu’il n’a plus, puisqu’il l’a donnée à l’esclave voilée, il lui offre une sérénade d’une originalité très cherchée mais d’un charme médiocre. Cette musique en pizzicati avec accompagnement de clarinettes porte sur les nerfs d’Adriani qui chasse les musiciens à coup de plat d’épée. Ottavio tire la sienne ; un duel s’engage. Namouna, devenue bouquetière, accourt pour séparer les combattants. Elle danse au milieu des armes, pare les coups de pointe avec des fleurs. Ce pas, très bien réglé par M. Petipas, a fourni à M. Lalo l’occasion d’un de ses plus heureux motifs. Un joli dessin de flûte traverse les tutti de l’orchestre comme Mlle Sangalli la furie des combattants.

La foule accourt et met fin au combat. Alors commence un divertissement de carnaval qui, vraiment, est par trop vulgaire. Une fanfare de cuivre, placée sur un char, fait un tapage infernal. Cette fête carnavalesque dure longtemps ; elle se divise en six épisodes, dont les principaux sont le pas de la charmeuse, entre Mme Sangalli et M. Mérante, et celui du joueur de Mandore, entre M. Nasquez [sic], surnommé l’homme caoutchouc, et Mlles Fatou, Pérou, Bernay et Hirsch. C’est dans la charmeuse que se trouve la scène de la cigarette, dans laquelle Mlle Sangalli a recueilli les plus chaleureux, applaudissements de la soirée. Le final, où l’on retrouve les cuivres du char, n’est pas heureux.

Disons pour ceux de nos lecteurs qui s’intéressent au sort d’Ottavio, qu’Adriani a voulu le faire assassiner, que Namouna l’a sauvé et qu’ils partent tous les deux dans la tartane pour aller chercher le bonheur sur un autre rivage.

L’autre rivage est une île de l’archipel où Ali, marchand d’esclaves, laisse ses houris folâtrer en liberté. Au lever du rideau, les femmes dorment, bercées par un rythme oriental plein de couleur et fort bien traité ; puis elles s’éveillent et dansent. Grand succès pour Mlle Subra.

Arrive Namouna en compagnie d’Ottavio. C’est dans cette île, singulièrement choisie pour un pareil commerce, que la jeune fille a été achetée naguère par Adriani. Elle vient délivrer ses anciennes compagnes. Celles-ci, reconnaissantes, lui offrent des fleurs. Divertissement admirablement réglé et du plus gracieux coup d’œil.

Ottavio, roi de ce nouveau pays des Amazones, serait parfaitement heureux, si le farouche Adriani ne venait le pourchasser jusque-là. Loyal au jeu de hasard, il triche au jeu de l’amour ; c’est à la tête d’un équipage de forbans qu’il vient reprendre la femme et les richesses perdues par lui au casino de Corfou. Que faire contre de pareils pirates, qu’on doit d’ailleurs s’étonner de n’avoir pas été attirés plus tôt par une si jolie garnison, si mal défendue ? Ruser. Les esclaves nouvellement émancipées font boire et danser les forbans, les désarment et vont les chasser honteusement. Par malheur Ottavio, fatigué de son voyage, s’était en dormi. Il est tombé au pouvoir d’Adriani. Tout paraît perdu si le jeune Andrikès, serviteur dévoué de Namouna, ne s’imaginait d’avoir recours à un moyen bien simple — les bonnes idées viennent tard — il poignarde Adriani. Rien ne viendra plus troubler le bonheur des habitants de « l’île de l’Archipel ».

Tel est le nouveau ballet de I Opéra. Il a été assez mal accueilli. Nous ne croyons pas qu’il soit joué longtemps ; mais les concerts du dimanche en feront sans doute entendre des fragments, ce qui consolera le compositeur.

Ch. La Bultière

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Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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Édouard LALO

/

Charles NUITTER

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