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La musique. Namouna

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La Musique.

[…] La lente et majestueuse Académie de musique vient enfin d’accoucher du ballet qu’elle portait dans ses flancs, depuis plusieurs mois. Il a fallu le saisir entre les mâchoires du forceps, pour l’en délivrer.

L’auteur de ce ballet, M. Lalo, qui est tout neuf au théâtre, n’est plus un jeune, s’il tant compter ses années. Il est né à Lille, on ne sait au juste à quelle époque, car il n’a jamais voulu livrer son acte de naissance aux biographes indiscrets. Très coquet, très soigneux de sa personne, il s’évertue « À réparer des ans l’irréparable outrage. »

Ses cheveux qu’il distribue sur son crâne, avec un art savant, sont l’objet favori de ses soins. Il aime à en varier les nuances : je l’ai connu tour à tour brun et blond tendre. Je lui donnerais, sans marchander, cinquante-cinq ans, mais il ne les acceptera pas ; je le connais.

Vers 1852 il quitta sa province pour venir à Paris et s’associa avec MM. Armingaud et Jacquard pour faire de la musique de chambre. Entretemps il écrivait des compositions remarquables qui faisaient bonne figure dans les cercles intelligents, mais qui n’ont jamais mis le pied dans la rue. L’idéal élevé de M. Lalo lui faisait une situation difficile ; il dépassait le niveau du public et ne pouvait s’accorder avec la musique à la mode. Aussi, sentant que ses efforts n’étaient pas appréciés, le compositeur se lassa-t-il de produire.

Cette défaillance, heureusement, n’était que passagère. En voyant le goût public s’épurer et se transformer, il reprit courage et rentra dans la lice. En 1867, il prit part au concours du Théâtre-Lyrique et présenta la partition de Fiesque, grand opéra en trois actes, écrit sur un poème de M. Charles Beauquier, aujourd’hui député de Besançon.

À cette œuvre remarquable, le jury préféra une platitude en un acte : me Magnifique, de M. Philipot. Le magnifique, en cette circonstance, c’était le jury !

Une autre partition dramatique de M. Lalo, c’est le Roi d’Ys, dont on ne connaît que l’ouverture, mais en revanche, plusieurs de ses œuvres symphoniques et notamment deux concertos de violon, écrits pour Sarasate, ont reçu bon accueil dans les grands concerts.

M. Lalo, qui n’écrit qu’aux heures d’inspiration, est un musicien de haute valeur, et c’est certainement l’un des compositeurs qui font le plus d’honneur à l’école française moderne. Parlons maintenant de Namouna.

Lorsque la toile se lève, le théâtre représente l’intérieur d’une maison de jeu à Corfou. À gauche, devant une table, M. Pluque et M. Merante se disputent des sommes importantes. Il n’y a que dans un théâtre qui touche près d’un million de subvention qu’on puisse se risquer à jouer aussi gros jeu.

M. Pluque, botté jusqu’au nombril, ce qui n’a rien d’étonnant, attendu qu’il est marin, à ce que nous apprend le livret, fait rouler les dés, et les yeux, avec un entrain digne de Robert-le-Diable. Comme la victime de Bertrand [sic], il est affligé de malchance et perd tout ce qu’il possède, jusqu’à sa tartane, jusqu’à son esclave Namouna. Je n’ai pas besoin de vous dire que cette déveine obstinée le met furieusement en rage ; à l’Opéra tous les joueurs ont mauvais caractère. Quant à Mérante, il jette fièrement dans une cassette l’or vierge de cet infortuné Pluque, puis il en fait hommage à Namouna, dont il ne daigne même pas lever le voile, ce qui me donnerait à penser qu’il sait d’avance que Namouna n’est autre que Mme Sangalli. C’est égal, ce Mérante est d’une générosité ridicule ; c’était bien la peine de risquer ses écus contre les bottes de M. Pluque ! Puisqu’il ne tient pas à l’or, pourquoi ne pas rendre celui qu’il a gagné à ce malheureux marin qui se désole de l’avoir perdu ?

Le deuxième tableau nous transporte sur une place publique de Corfou. Au fond les vastes horizons de la mer ; sur les côtes de somptueux palais avec balcons et terrasses.

Devant l’une de ces royales demeures se groupe une bande de musiciens à la solde de M. Mérante. Ils donnent la sérénade à la belle Mlle Invernizzi et ils ont, par Dieu, bien raison ! À la fin de ce morceau, la gracieuse ballerine parait à son balcon et M. Mérante, qui guettait son effet, monte sur une borne et baise galamment la main de la belle. Ceci prouve que les propriétaires qui ont des filles à garder sont assurément imprudents de faire placer des bornes sous leurs fenêtres.

À ce moment on voit reparaître les boites de M. Pluque. Ce marin bizarre chasse les musiciens à coups de trique et tire l’épée contre le pacifique Mérante. Voilà un moyen de regagner son argent, qui ne manque pas d’une certaine originalité. Heureusement Namouna s’interpose entre les combattants et les empêche d’en venir aux mains. Chaque fois qu’ils veulent croiser le fer, elle passe entre les épées avec une brassée de fleurs. Lorsque ce petit manège a duré assez longtemps, – si l’on me laissait faire, je dirais trop longtemps, – Namouna quitte la partie et les deux adversaires pourraient s’égorger tout à leur aise, si la foule n’accourait à propos pour les forcer à rengainer.

On saute, on se trémousse et la jolie Mlle Invernizzi reparaît à son balcon pour la plus grande joie des yeux. Mais son sourire emperlé n’empêche pas M. Mérante de conter fleurette à Namouna. Le voilà maintenant qui fait la bouche en cœur devant la femme que tout à l’heure il ne daignait même pas regarder. Décidément l’homme est un être inconstant et fantasque !

Cependant l’inévitable Pluque n’a pas dit son dernier mot. Il soudoie une demi-douzaine de chenapans pour donner un mauvais coup à Mérante ; mais Namouna, qui veille, fait enlever son amoureux, qui s’envole dans la tartine, sans plus se soucier de Mlle Invernizzi, ce qui prouve, soit dit en passant, un goût détestable.

Nous voici au deuxième acte ; rassurez-vous, en deux lignes nous allons toucher au dénouement.

La fantaisie du poète, – flattons M. Nuitter, – nous transporte dans une île de l’archipel ionien, chez un marchand d’esclaves. Que vient faire là le doucereux Mérante, sur sa tartane, non moins fatale que M. Pluque ? Je vous donne ma parole que je n’en sais rien. Ce que je comprends moins encore, c’est pourquoi Namouna vient l’y rejoindre. Peut-être est-ce uniquement pour donner une nouvelle occasion à M. Pluque de nous montrer ses bottes. En effet, les voici qui arrivent, escortées d’une troupe de pirates.

Cette fois j’ai cru que le coup allait réussir et, s’il faut vous l’avouer, je faisais des vœux secrets contre M. Mérante. Il commençait à me donner horriblement sur les nerfs et sa conduite malpropre vis-à-vis de Mlle Invertizzi m’avait exaspéré. – Par malheur j’avais à faire à des pirates extraordinaires. Ces honnêtes brigands n’ont pas plutôt mis les pieds dans l’île, qu’ils sont désarmés par la main des grâces ; je dis ceci tout particulièrement pour Mlle Mercedes, qui me rappelle un nègre de bonne famille, que j’ai connu dans des temps plus prospères.

Heureusement pour M. Pluque deux ou trois de ses sbires ont conservé leur sang-froid et cela suffit pour que Namouna ne soit pas rassurée sur le sort de M. Mérante. Elle fait donc semblant de céder à l’amour de M. Pluque, vous ais-je dit que ces bottes étaient pleines de cœur ? – et en profile pour le griser abominablement.

La piquante nouveauté de ce coup de théâtre m’a désarmé, je l’avoue, et sans y réfléchir davantage, j’ai rendu tout mon intérêt à M. Mérante. C’est le cœur plein de joie que je l’ai vu s’enfuir avec Namouna, sur la sempiternelle tartane. Bon voyage et que la brise leur soit légère !

Maintenant, hélas, il faut reprendre notre sérieux pour parler de la partition de M. Lalo. La musique de ce compositeur si distingué n’est pas, il faut bien en convenir de la musique de ballet, dans le sens qu’on attache d’ordinaire à cette expression. Elle n’a pas cette vivacité d’allure, cet entrain, cette légèreté mélodique qui vont si bien d’accord avec la danse. Mais elle a d’autres qualités et méritait tout au moins d’être écoutée avec une attention respectueuse.

C’est à quoi n’ont pu se résigner les abonnés de l’Opéra et l’ouvrage de M. Lalo a été exécuté sommairement par le public… et par l’orchestre. La partition du maître est enchaînée à un livret trop manifestement ennuyeux pour qu’il puisse espérer que ce jugement précipité sera mis à néant en cour d’appel. Mais il reste la cour de cassation des concerts symphoniques. Là, sous forme de suites d’orchestre, bon nombre de pages remarquables seront mises en relief et les applaudissements dont on ne manquera pas de les saluer, vengeront leur auteur du dédain des habitués de la salle Vaucorbeil.

Victor WILDER.

Ce numéro propose, en une, la gravure du Pas de l’épée ainsi que des vignettes dans l’article.

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Édouard LALO

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Man of letters, Librettist, Journalist

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(1835 - 1892)

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