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Musique / Soirée parisienne. Namouna

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MUSIQUE
OPÉRA : Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, de MM. Nuitter et Petipa ; musique de M. Lalo.

Si – comme on l’a dit – la première condition d’un ballet est d’être incompréhensible, celui de MM. Nuitter et Petipa a toutes les qualités requises pour être trouvé détestable ; les péripéties s’y succèdent en effet avec une limpidité à défier la myopie la plus inintelligente et il faudrait être considérablement obtus pour ne pas d’emblée dégager l’x de cette équation du tout premier degré.

Paradoxe à part, j’estime au contraire que la qualité indispensable d’un ballet d’action, c’est la clarté.

Sans la clarté, le spectacle chorégraphique devient une fatigue qui se transforme bientôt en agacement, en mauvaise humeur, dont sont rendus responsables et les auteurs et les artistes.

Avec MM. Nuitter et Petipa rien de cela n’est à craindre ; leur canevas est d’une telle trame que les broderies qui la couvrent n’en altèrent pas la transparence.

D’abord je tiens à les remercier de m’avoir épargné le martyre d’un sujet mythologique. Les Vénus, les Diane et principalement l’Amour et son carquois — l’un portant l’autre — m’ont toujours inspiré une invincible horreur et je tiens en infiniment mesquine considération le berger Corydon, quand il se livre, sur les planches, à de plates supplications envers Phébé pour retrouver une Amaryllis aussi quelconque qu’infidèle.

Au moins avec Namouna nous sommes en pleins personnages humains, qui se battent avec de vraies épées et qui s’aiment avec de vrais désirs.

Nous sommes à Corfou, au milieu de l’archipel ionien. Le décor représente un casino où, comme dans tous les casinos, on joue gros jeu. Deux cavaliers surtout s’acharnent en une partie formidable, c’est Adriani, c’est Ottavio. Le premier a déjà tout perdu. Son or, ses bijoux, son vaisseau avec tout son équipage. Il ne lui reste plus qu’une esclave, Namouna, et c’est avec cet enjeu qu’il risque le dernier coup. Il perd.

Ottavio pourrait tout emporter, fortune et esclave. Mais cet Ottavio est le désintéressement même : il donne la liberté à Namouna et, avec la liberté, il lui octroie la totalité des richesses dont le hasard l’a rendu propriétaire. Bon et excellent Ottavio !

Adriani n’est pas content. La fâcheuse déveine lui aigrit même passablement le caractère. Il se vengera. Mais comment ? — En surprenant Ottavio pendant que celui-ci se livre aux douceurs de la sérénade sous le balcon de la belle Héléna, au milieu de la place publique de Corfou (deuxième tableau). Une provocation s’ensuit. On dégaine. Au moment où les fers se croisent, Namouna, déguisée en bouquetière, apparais et offre des fleurs aux deux combattants. Pour une diversion, c’est une diversion ; aussi le duel n’a pas lieu, et, comme on est en plein carnaval, les masques en profitent pour envahir la scène et se livrer à quelques exercices chorégraphiques bien sentis. Namouna, costumée en simple danseuse cherche à se rapprocher d’Ottavio ; mais Adriani, qui a reconnu son ancienne esclave, guette et complote un mauvais coup avec des rôdeurs d’allure suspecte. Namouna, toujours à la réplique, sauve Ottavio au moment où les gens d’Adriani se disposent à assassiner le jeune homme, et, vogue la galère ! On part ; on est parti.

On débarque (troisième tableau) sur le bord d’une des îles de l’Archipel, chez un marchand d’esclaves, fournisseur breveté d’odalisques pour harems. Namouna, tout aussi bonne, tout aussi excellente qu’Ottavio, vient racheter ses anciennes compagnes et leur rendre la liberté, toujours grâce à l’argent gagné à Adriani. Mais tout à coup, on signale l’embarcation de celui-ci. (Dès à présent je cesse de plaindre Adriani : il n’était pas si décavé, en somme, puisqu’il a trouvé moyen de se payer une tartane, tout comme on s’offre un simple… tartan). C’est alors que la coquetterie féminine fait des siennes. Voici que les compagnes de Namouna renouvellent auprès des gens d’Adriani l’antique manœuvre des Sirènes sur les compagnons d’Ulysse et, dame, on n’a pas toujours de la cire pour se boucher… les yeux. Les gens d’Adriani sont hommes ; rien de ce qui est humain ne leur est étranger. Séduits, subjugués, vaincus, ils laissent fuir une dernière fois — la bonne ! — Namouna et Ottavio.

Adriani restera seul, avec son déshonneur. (air connu).

Tel est le nouveau ballet de l’Opéra.

Je l’ai raconté légèrement, comme il convient à une intrigue qui n’a d’autre prétention que celle de servir de prétexte à des déploiements de cortèges et à des exhibitions de costumes. Les auteurs ont réussi à souhait, M. Nuitter en variant avec habileté ses trois tableaux, M. Petipa en en réglant les épisodes avec beaucoup d’originalité et de verve.

M. Lalo, le musicien de Namouna, qui ne s’est guère livré jusqu’ici qu’à des compositions d’ordre tout à fait supérieur, est, par suite, assez peu connu du public habituel des théâtres ; en revanche, dans le monde spécial on le tient en très grande estime et j’ajouterai en une estime on ne peut plus méritée. Pour mon propre compte, je professe à l’égard de M. Lalo un respect raisonné. J’aime ses compositions, où l’allure est grande, l’élégance châtiée, le style pur et la couleur parfaite.

J’aime son orchestre où la sonorité n’est jamais creuse, où les développements abondants se succèdent, conduits par une main ferme et nerveuse ; enfin je salue en lui l’un des plus complets représentants de cette magnifique école moderne à qui nous devons les Saint-Saëns, les Franck, les Godard et qui, de par les inéluctables lois du progrès, enterrera toutes les autres, devenues poncives et poussives.

Cela dit – en manière de généralité – il me faut bien reconnaître que l’expérience tentée par la direction de l’Opéra était en quelque sorte d’avance frappée de stérilité. Toutes proportions gardées, M. Lalo n’est pas plus l’homme d’un ballet que M. Olivier Métra ne serait l’homme d’un opéra.

Pour écrire de la musique de ballet, il faut penser superficiellement sans jamais approfondir, de telle sorte que quand le chorégraphe a besoin d’allonger ou de raccourcir, suivant les nécessités de ses pas, le musicien arrête net la phrase commencée, ou la développe au moyen de jolis subterfuges qui sont de la véritable poudre aux… oreilles.

Cet art en caoutchouc est par cela même inférieur. Jamais un compositeur de l’envergure de M. Lalo ne saura assez dépouiller sa nature pour mener à bien un petit commerce de ce genre.

Donc un ballet signé de lui ne doit et ne peut rien prouver. Après comme avant, M. Lalo reste un musicien hors de pair, ce qui n’avait nul besoin d’être démontré.

Autrement intéressant eût été un opéra de ce maître harmoniste. Avec un grand ouvrage la discussion devenait passionnée. On pouvait argumenter pour ou contre et rompre de vraies lances.

Mais il s’agit de Namouna et Namouna n’a pas plu. Voilà la vérité.

Entendons-nous, toutefois ; Namouna n’a pas plu à la masse du public. Cependant il est quelques initiés — au nombre desquels je me flatte d’être — que cette musique neuve, originale, personnelle et d’un si parfait coloris grec, a virement impressionnés, surtout dans les parties où la danse faisant taire le symphoniste a pu donner libre carrière à ses magnifiques qualités de musicien descriptif, ainsi l’entracte qui relie le premier tableau au deuxième — entr’acte que personne ne s’est donné la peine d’écouter : ainsi la sieste des esclaves, si langoureuse, si mystérieuse avec ses sonorités qui sentent la brise de mer.

Ce ballet — bien qu’il n’y comptât guère — a été monté à miracle par M. Vaucorbeil et je l’en veux féliciter.

Les décors sont de toute beauté et les costumes mettent au premier rang M. Lacoste, l’érudit et très artiste dessinateur de l’Opéra.

Mlle Sangalli a lutté avec une ardeur et une conviction bien dignes de sa grande réputation. La célèbre ballerine danse et mime le personnage de Namouna avec une perfection qu’on n’égalera pas de longtemps.

Mlle Subra qui n’a qu’un rôle épisodique sait le mettre en grande évidence.

Les rôles d’hommes sont tenus par M. Mérante et M. Pluque, tous deux comédiens expérimentés.

Tout est bien, tout est beau, tout est luxueux et souverainement artistique ; mais que d’argent et d’efforts dépensés pour établir que M. Lalo est un immense musicien !

Je ne suis pas directeur de théâtre ; mais si je l’étais, j’ose affirmer qu’il ne me viendrait jamais à l’idée de dépenser soixante mille francs pour prouver qu’il fait jour en plein midi…

Léon Kerst

 

SOIRÉE PARISIENNE
NAMOUNA

Le premier acte est le plus court — c’est le moins ennuyeux.

Il est question d’un M. Adriani, homme veinard par excellence, qui perd toute sa fortune au jeu.

Il porte sa chevelure longue, pour bien montrer qu’il se fait des cheveux.

Mais comme la scène se passe à Corfou, tout me donne à supposer que don Ottavio, son adversaire, est un grec.

Donc, celui-ci gagne non seulement la fortune d’Adriani, mais encore sa tartane et Namouna, son esclave favorite. Il gagne aussi à être connu, vu que ce Bidard est Mérante, le plus aimable des chorégraphes.

Namouna, c’est Mlle Sangalli.

Mlle Sangalli engraisse — c’est de circonstance.

Don Ottavio a une singulière façon de se faire aimer de Namouna. La voyant danser au milieu de la place publique, il va faire un cavalier seul en face d’elle et lui offre des cigarettes.

C’est peut-être un moyen d’avoir son cœur en le lui faisant mettre sur le carreau. 

Elle le récompense, du reste, en changeant cinq ou six fois de costume pour lui prouver qu’elle ne coûtera pas cher à entretenir, sa garde-robe étant amplement fournie.

Apparition de Mlle Invernizzi qui porte un bouquet.

Don Ottavio le lui demande.

Mlle Invernizzi sourit en lui montrant pendant cinq minutes toutes ses dents comme pour lui en faire constater l’éclatante blancheur.

C’est sans doute avec les fleurs de son bouquet qu’elle se les nettoie, aussi comprend-on son refus.

Et pendant ce temps, trois fanfares installées sur la scène rappellent par leur cadence les beaux soirs de la fête à Saint-Cloud.

O Markowski, où étais-tu ?

Le second tableau et le premier acte finissent là.

Dialogue de couloir :

— Est-ce que vous restez jusqu’à la fin ?

— J’y suis forcé.

Second acte. – Magnifique décor de Lavastre. Rien qu’un arbre ! mais quel arbre !

Au fond, la mer bleue – rien de la blanche, de la noire et de la rouge.

Mlle Subra, gentille tout plein, mais dame, mais dame pas grassouillette du tout, se livre à tous les chats que comporte sa légèreté lorsque l’orchestre se met à pincer de la harpe.

Régie générale, lorsque dans un ballet vous entendez les harpes se mêler de la partie, c’est signe qu’une barque n’est pas loin.

Elle arrive en effet avec Namouna, remorquant don Ottavio. C’est elle qui l’a enlevé. Pardonnons-le-lui, ça repose un peu des cavaliers qui enlèvent leurs belles.

Arrivée de forts bancs de forbans conduits par Adriani, qui ne peut pas digérer sa partie de dés.

Mais toutes les anciennes esclaves amies de Namouna viennent faire des grands bras autour des brigands et leur chipent leurs bons poignards de Tolède.

Ces messieurs qui ne me paraissent pas jouir d’une intelligence au-dessus de la moyenne, les laissent faire avec une naïveté digne d’une meilleure cause.

On pense si Adriani est furieux. C’est lui qui leur avait payé ces eustaches pointus. Heureusement que don Ottavio est prisonnier.

Qu’à cela ne tienne !

Toutes ces dames vont régaler nos forbans d’un excellent petit vin du pays qui vous flanque un homme à bas en une seule coupe.

Ici, ballet de pochards.

Mais, comme Adriani ne tombe pas assez vite. Mlle Biot, qui représente un charmant petit corfou… chtra, continuellement navré de tout ce qui se passe — je comprends ça — vide un pot de… (pardon !) donne un coup de poignard dans le dos — c’est moins voyant — de l’Ali-Baba de la chose, qui tombe mort mais pas ivre, tandis que ses hommes tombent livres mais pas morts [sic].

Après ce joli coup là, il n’y a plus qu’à filer par la prochaine tartane-mouche qui passera sur la scène.

C’est ce que font Namouna, don Ottavio et le jeune Andrikés… que vous voulez !

J’ai dit que Mlle Sangalli prenait de l’embonpoint. Il faut qu’elle se surveille, sous peine d’y perdre sa souplesse.

On l’a néanmoins assez applaudie au second acte.

M. Mérante n’est plus à louer comme mime, ni M. Ajas comme homme volant. Ce gaillard là vous fait des bonds incroyables. Un de ces soirs, il restera accroché dans les frises.

Au baisser du rideau il me semble que les noms des auteurs ont été mal accueillis.

J’aime mieux le croire que d’y retourner voir.

Dialogue de sortie :

— Vous partez ?

— Avec plaisir.

— Dormez bien !

— C’est déjà fait.

Scapin

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Journalist

Léon KERST

(1846 - 1906)

Man of letters, Journalist

Alfred DELILIA

(septembre 1844 - 1916)

Composer

Édouard LALO

(1823 - 1892)

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