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Causerie dramatique. Psyché

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CAUSERIE DRAMATIQUE
THÉÂTRE DE L’OPÉRA-COMIQUE : Psyché, opéra en 4 actes, paroles de MM. J. Barbier et Michel Carré, musique de M. Ambroise Thomas.

En faisant à M. Burani, auteur d’un vaudeville en 4 actes, intitulé Chançard, que le public du théâtre Cluny a exécuté avec plus d’entrain que les acteurs, la gracieuseté de ne pas parler de son œuvre, nous pouvons dire qu’il n’y a eu, cette semaine, que Psyché, à l’Opéra-Comique. Encore Psyché est-elle une reprise. Mais l’œuvre de M. Ambroise Thomas remonte à 1857. Après vingt ans, elle a pour nous l’attrait d’une nouveauté. Elle se présente, d’ailleurs, sous une forme nouvelle ; Psyché, en 1857, était un opéra-comique selon les règles, mêlé de chant et de dialogue, avec un élément comique, représenté par deux personnages plaisants qui ont disparu aujourd’hui.

En revanche, dans la partition nouvelle, le dialogue est remplacé par des récits, et des morceaux inédits y ont été ajoutés. C’est une transformation complète. Aussi M. Heugel, l’éditeur de M. Ambroise Thomas, nous a-t-il donné, ces jours-ci, la partition actuelle sous le titre d’opéra. Elle reste définitive et c’est là qu’il faut étudier un musicien très savant dont l’œuvre gagne à être lue et relue après les représentations.

Cette transformation d’opéra-comique en opéra semblait être dans la destinée de Psyché. Une première fois, Molière, Corneille et Quinault (sur le compte duquel on ne s’en rapporte plus à l’animosité de Boileau) s’associèrent pour fournir aux fêtes de la cour une œuvre mêlée de chants et de danses. Lulli fit la musique, que je ne connais pas, quoiqu’on l’ait exécutée quelquefois à la Comédie-Française. Cet opéra-ballet est d’ailleurs assez faible, et il n’en reste guère dans la mémoire que la déclaration d’amour passionnée que le vieux Corneille met dans la bouche d’Éros, et qu’il adressait lui-même, selon un cancan très accrédité, à mademoiselle Molière, à cette adorable Célimène dont tout le monde était amoureux, y compris, hélas ! son pauvre mari. Quelques années plus tard, Lulli, enchanté du sujet d  Psyché, fit écrire par Fontenelle un libretto de grand opéra, dont il composa la musique, en se servant des improvisations rapides de la première Psyché.

C’est surtout, en effet, un sujet de grand opéra que Psyché. Les situations les plus dramatiques y abondent, les sentiments les plus exaltés s’y font jour. Il semblerait même qu’au siècle dernier, la descente de Psyché aux enfers, le désespoir d’Éros qui veut mourir, la douleur de l’amante abandonnée aient dû solliciter le génie tragique de Rameau. De nos jours, un tel sujet était pour plaire à M. Ambroise Thomas, qui est un musicien dramatique et élégiaque. Cependant il y avait déjà dans la Psyché primitive, en opéra-comique, des pages charmantes et d’une grande gaieté, faites de finesse et de satire. Aujourd’hui encore, ce qu’on a le plus applaudi, c’est le chœur des nymphes qui ouvre le second acte :

Quoi ! c’est Éros lui-même
Qui soupire d’amour.

et les couplets de Mercure, si bien détaillés par M. Morlet :

Simple mortelle ou déesse.

et l’inspiration de ces deux morceaux, surtout celle du second, est tout-à-fait dans le style de l’opéra-comique le plus français. 

Le sujet de Psyché a inspiré les musiciens, les poètes et les peintres. M. de Laprade en a fait un poème un peu diffus, et personne n’ignore les splendeurs des fresques de Raphaël, à la Farnésine. Les savants et les commentateurs se sont mis aussi de la partie, et cette pauvre Psyché, jeune fille amoureuse, âme et papillon, a été écrasée sous les gros in-quarto des Symboliques. L’occasion m’a fait relire le conte d’Apulée. Je l’ai relu dans un délicieux petit volume, adorablement imprimé, avec des encadrements à chaque page et des frontispices et des culs-de-lampe d’après Natoire, qui trouva sa Farnésine galante et de style français dans le salon de l’hôtel de Rohan-Soubise, où sont aujourd’hui les archives nationales. Savez-vous bien que cette jolie édition est la huitième ou neuvième qu’on ait faite du conte grec, sans parler des vingt-cinq éditions, environ, d’Apulée complet ? Et combien d’imitations ! 

Le conte d’Apulée est des plus agréables à lire. Comme dans presque toutes les œuvres de décadence, on y sent trop l’effort vers le style, effort qui fatigue un peu, même lorsqu’il est couronné de succès. Par là, l’Âne d’or, l’âne par excellence ! ressemble à ce joli roman si peu naïf de Daphnis et Chloé, qui ne prend la couleur d’une œuvre primitive que lorsqu’Amyot le traduit. Apulée inventa-t-il cette histoire tout d’une pièce, avec des souvenirs de la fable de Pandore, en y ajoutant les allégories chères aux platoniciens, faisant, par exemple, livrer l’Amour à la Tristesse par l’Habitude, ou bien Psyché est-elle un mythe ancien ?

C’est là que les savants triomphent ! Pour eux, Psyché, symbole de l’âme qui se sépare de Dieu par la vanité et qui rentre dans son sein par l’amour, papillon qui se brûle à la lumière comme le phalène et se perd par le désir de la science (mythe d’Ève et de Pandore), nous vient de la Perse, dont nous ne savons pas grand-chose, en passant par l’île mystérieuse de Samothrace, dont nous ne savons rien du tout. Il ne faut pas rire, cependant, des savants, qui pourraient bien avoir raison, et qui ne sont blâmables que par trop d’assurance. Si les bons évêques qui ont voulu faire de Psyché une allégorie chrétienne, s’emparant de l’antiquité en la gâchant comme ils s’emparaient des temples helléniques en les abîmant (lisez le livre admirable d’Heine sur les Dévastations des chrétiens : c’est à faire frémir !), si les évêques sont ridicules en leurs subtilités théologiques, il n’est pas impertinent de supposer qu’Apulée, vivant dans un siècle à la fois incrédule et mystagogique (il passa lui-même pour sorcier), a recueilli un mythe ancien et l’a accommodé au goût platonicien. Mais, voyez-vous, au fond de toute cette histoire, ce qui reste charmant, c’est l’Amour amoureux et la femme curieuse. Voilà ce qui a séduit musiciens et poëtes, notre La Fontaine et l’aimable Demoustiers, qui avait l’esprit le plus galant du monde, et qui a fourni aux auteurs du libretto de Psyché les jolis couplets du Mercure, en disant au milieu de petits vers à Émilie, pleins d’une polissonnerie tendre :

C’est peu d’aimer mon fils, l’insolente ose encor
Me rendre grand-mère à mon âge !

Ce sujet de Psyché, avec toutes ses faces, dramatique, galant, mystérieux (souvenez-vous de cette belle et étrange pierre gravée où Psyché, avec les ailes du papillon, de l’insecte qui ne se change en fleur vivante que pour aimer et mourir, dit Michelet, monte au ciel les yeux fermés par la mort), est tellement attrayant que j’oublie l’opéra-comique et la musique de M. Ambroise Thomas. C’est injustice, et ce n’est pas le cas de parler ici de Castor et de Pollux, en passant sous silence le lutteur qui vient de remporter un vrai succès à l’Opéra-Comique. Tout compte fait, je ne sais pas si la Psyché, telle qu’elle est aujourd’hui, n’est pas l’œuvre la plus intéressante du directeur de notre Conservatoire.

Le grand reproche qu’on peut adresser à Psyché, c’est de manquer d’unité. Le conte d’Apulée pouvait être pris de deux façons ; d’une façon élevée, tragique, mystique, comme le mythe de l’âme perdant le ciel et le regagnant par l’amour et la douleur ; ou bien d’une façon plus aimable, galante, satirique, comme l’histoire de Galathée fut comprise par M. V. Massé, ce qui est, en somme, une manière de parodie mythologique, sans la grossièreté banale de ce Scarron croque-notes qu’est M. Offenbach. M. Ambroise Thomas ne s’est pas décidé entre ces deux manières, ou, pour mieux dire, il a successivement adopté l’une et l’autre. L’unité de l’œuvre en souffre, c’est incontestable : mais l’opéra y gagne une variété qui n’est pas ordinaire aux œuvres de M. Ambroise Thomas. Le Caïd et le Songe d’une nuit d’été, par exemple, sont des partitions d’une grâce aimable, tout à fait dans la donnée de l’opéra-comique, mais où le rôle symphonique de l’orchestre est très effacé, et où la coupe des mélodies paraît déjà un peu vieillie aux musiciens de la nouvelle école ; par contre, dans Hamlet, si l’orchestration est souvent admirable, les idées mélodiques sont peu nombreuses, de teinte grise, et le nouveau système musical des récitatifs remplaçant les airs et suivant de plus près qu’autrefois le texte des paroles semble cacher trop souvent le manque d’inspiration, à laquelle supplée la science. Psyché est un opéra de genre mixte. L’air admirable et passionné d’Éros, au premier acte : Ô toi qu’on dit plus belle, le chœur d’introduction et celui des nymphes, dont j’ai déjà parlé, les couplets de Mercure, l’invocation à la Nuit, deux ou trois morceaux encore du dernier acte, sont des pages de musique mélodique, où l’idée se développe à la façon des maîtres italiens ou français, clairement déduite, avec un commencement et un fin, sorte de sonnet musical qui forme un tout. D’autres endroits de la partition sont écrits selon la méthode nouvelle, où, pour éviter la formule de l’andante suivi de sa cabalette, le musicien s’arrête en chemin et termine la phrase mélodique par un récit. Système plus près de la vérité, dit-on : peut-être, mais, à coup sûr, plus près aussi de l’ennui et de la monotonie. Dans Psyché, au moins, quand M. Ambroise Thomas sacrifie aux dieux nouveaux, il a soin d’apporter à l’orchestre un soin particulier. Il y prodigue les richesses dont il dépouille volontairement le chant. Les violoncelles se chargent de nous chanter les andantes graves et touchants, et les harpes, dont il use à merveille, exécutent leurs brillantes variations sur le thème un peu terne du chant récitatif qui est la part de la voix humaine.

Volontairement, j’ai passé sous silence la Chanson à boire de Mercure, qui est le morceau le plus faible d’un rôle presque tout entier charmant. Mercure, ce Mercure farceur qui trouvait moyen de rire même en conduisant les ombres aux enfers, a le vin triste. Il chante Bacchus avec trois bémols. C’est d’ailleurs un paradoxe assez commun à nos musiciens contemporains que celui qui consiste à nous donner des chansons à boire sur un ton triste. Ils craignent de tomber dans la banalité des vieux refrains gais et majeurs et cherchent la distinction dans la tristesse des tons mineurs. Là-dessus, vraiment, le vieil opéra-comique français avait raison contre les novateurs, et il chantait bien mieux « le vin et les belles » en les chantant plus simplement.

Quelques mélodies charmantes, de dessin bien franc et dont quelques-unes sont inventées ; des mélopées habiles, bien appropriées au sujet, soutenues par un orchestre savant et fouillé ; une correction constante, une façon d’originalité due souvent au soin exquis du détail, toutes ces qualités, rarement réunies au même degré chez un même maître, font de la partition de Psyché une des meilleures de notre théâtre. L’Opéra-Comique a bien fait de nous la faire entendre de nouveau. Je sais bien qu’on le chicane et qu’on l’accuse trop de hausser son genre au grand opéra. Mais à qui la faute ? l’Opéra-comique n’est-il pas devenu l’opérette et n’a-t-il pas émigré vers d’autres théâtres ? Il faut donc louer M. Carvalho d’avoir remonté Psyché, et surtout de l’avoir bien monté. La mise en scène est soignée et agréable, malgré certaines difficultés qu’elle présente, la route d’Apulée étant en maints endroits une vraie route de fées, qui se joue de la nature, court du ciel aux enfers en passant par les palais enchantés des îles divines de la Grèce, où Éros, dans les Lettres à Émilie, reproche à sa mère de perdre son temps à accueillir de très près les hommages des mortels. Toute cette fantasmagorie est très-suffisamment exprimée à l’Opéra-Comique.

Quant aux principaux personnages, ils sont excellemment tenus. Si Mlle Heilbron n’a pas la beauté enfantine de Psyché (elle en a une autre, très-accentuée), elle possède en revanche une voix admirable qui se joue des difficultés de la musique avec la sûreté d’une virtuose consommée. Elle a dit, avec une justesse exquise, le final du troisième acte, le réveil et le désespoir de Psyché quand elle a perdu Éros en voulant le voir. À ce propos, pourquoi n’avoir pas conservé la mise en scène de Raphaël et la goutte d’huile brûlante réveillant Éros ? C’est un joli tableau.

Mme Engally, qui joue Éros, a une voix superbe. Oserai-je dire qu’elle manque parfois de goût et semble trop faire consister l’art du chant dans les oppositions des notes graves et des notes élevées ? Le public applaudit beaucoup ces oppositions heurtées. J’aimerais mieux que la jolie chanteuse « descendît son escalier, » comme on dit au théâtre, sans sauter si fort les échelons. Quant à Mercure Morlet, on n’a pas plus d’esprit. Il fait songer à M. Coquelin, ce qui n’est pas un mince éloge. Sa voix librement va jusqu’au fa. Quant à ce qu’il gagne au-delà, en ténorisant selon l’usage des barytons, c’est du domaine de la fantaisie, plein de charmes et aussi de dangers. N’oublions pas les petites demoiselles du Conservatoire, qui se moquent si bien de l’amour – à titre de revanche !...

Henry Fouquier

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Henry FOUQUIER

(1838 - 1901)

Composer

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(1811 - 1896)

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