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Chronique musicale. Namouna

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CHRONIQUE MUSICALE
Théâtre national de l’Opéra. — Première représentation de Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux, de MM. Nuitter et Petitpa, musique de M. Ed. Lalo. […].

Après divers incidents qui en ont retardé la première représentation, le ballet de Namouna vient enfin de faire son apparition sur la scène de l’Opéra. Le sujet du nouveau ballet ne rappelle en rien la célèbre poésie d’Alfred de Musset. Je vais essayer de l’expliquer à mes lecteurs. Je ne leur raconterai pas ce qu’on pourrait comprendre en assistant simplement à la représentation, car les choses de la pantomime sont généralement peu claires et peuvent se prêter à bien des interprétations ; je serai obligé d’avoir recours au livret, c’est-à-dire à la petite brochure où sont consignées les intentions des auteurs.

Nous sommes à Corfou. Les costumes nous reportent à peu près au temps de Louis XIII. Namouna est l’esclave d’un forban nommé Adriani. Cet Adriani a perdu aux dés toutes ses richesses ; il veut encore tenter la fortune et propose à son rival Ottavio de lui jouer Namouna. Ottavio gagne la belle esclave qui s’éprend de son libérateur.

Ottavio devient aussi amoureux de Namouna et quitte pour elle sa maîtresse ; la belle Helena.

Adriani veut ravoir Namouna : une première fois il veut faire tomber Ottavio dans un guet-apens ; Namouna déjoue ses projets. Adriani ne se tient pas pour battu, et, à la tête de ses pirates, il vient débarquer dans l’île où Namouna et Ottavio sont allés cacher leur bonheur.

Les pirates sont reçus par les compagnes de Namouna qui les enivrent. Adriani est blessé par un serviteur de Namouna, le jeune Andrikès, et les amants pourront désormais vivre en paix.

Ce canevas assez simple fournit divers épisodes gracieux : j’ai remarqué, au premier acte, une sérénade ingénieusement groupée, et une scène dans laquelle Ottavio et Adriani se battent en duel, tandis que Namouna vient sans cesse entraver leur combat en passant entre leurs épées.

Au second acte, l’ensemble des Fleurs est d’une couleur poétique charmante.

La représentation de Namouna excitait une grande curiosité dans le monde musical, car c’était le début au théâtre d’un musicien dont le nom a souvent figuré sur les programmes des concerts symphoniques.

M. Lalo a beaucoup fait parler de lui depuis quelques années : il n’est personne s’intéressant aux choses de la musique qui ne sache qu’il a en portefeuille deux grands opéras : Fiesque et le Roi d’Ys.

M. Lalo a vainement essayé jusqu’à ce jour de faire représenter ces ouvrages, et M. Vaucorbeil n’a pu prendre sur lui de les produire, bien qu’il les connaisse et en fasse, croyons-nous, le plus grand cas. Il est difficile en effet à l’Opéra de monter plus d’un grand ouvrage chaque année, et des engagements antérieurs faisaient que M. Lalo eût été forcé d’attendre encore bien des années avant de voir une de ses œuvres de prédilection paraître devant le public. M. Vaucorbeil a voulu donner à ce musicien distingué un dédommagement : il y avait place pour un ballet, c’est M. Lalo qu’il a chargé d’en écrire la musique.

Je crois franchement que le directeur a rendu là un mauvais service au compositeur : La musique de ballet réclame avant tout des qualités de franchise et de netteté mélodique qui semblent faire défaut à l’auteur de Namouna.

Le spectateur d’un ballet est déjà captivé par la mise en scène et la chorégraphie ; il faut donc que la musique s’impose à son attention ; aussi ne saurait-elle être trop claire.

La partition de M. Lalo est l’œuvre d’un musicien consciencieux et laborieux, mais on n’y rencontre pas ce qui constitue la vraie musique de ballet. Les tendances symphoniques du compositeur l’absorbent au point qu’il semble avoir oublié qu’on doit danser sur sa musique. Ce ne sont que formules bizarres, étrangetés harmoniques ou fragments répétés à satiété.

En fervent, disciple des idées nouvelles, M. Lalo a écrit une phrase caractéristique qui se reproduit à chaque entrée de Namouna. Cette phrase rappelle beaucoup une mélodie bien connue de M. Gounod. Un pas espagnol ne manque pas d’un certain rythme et d’une certaine originalité. Le morceau symphonique qui sépare le premier tableau du second est d’une longueur démesurée.

Dans le deuxième tableau, une fanfare placée sur un char fait entendre une figure de quadrille d’une platitude désespérante ; une phrase incidente de trois notes est répétée je ne sais plus combien de fois par des cornets à pistons embusqués dans tous les coins du décor ; la fanfare principale reprend de plus belle : tout ce morceau a fait sur le public de la première représentation une fâcheuse impression.

Il est à remarquer du reste que, généralement, lorsque les adeptes de l’art nouveau se mêlent de chercher un motif gai, ils tombent dans une trivialité qui ferait frémir les fournisseurs attitrés des cafés-concerts.

Le dernier tableau est musicalement meilleur que les autres : j’y signale l’ensemble des fleurs et surtout un ravissant solo de flûte qui a eu les honneurs du bis. J’ai été surpris aussi du peu de sonorité de l’orchestre de M. Lalo ; pourtant son habileté d’instrumentation est connue. Je souhaite à l’auteur de Namouna l’occasion d’une prompte revanche.

M. Lalo s’est laissé égarer en entreprenant une tâche qui répugnait à sa nature ; le théâtre ne vit que de concessions ; il est et sera encore longtemps interdit à ceux qui veulent imposer au public des tendances contraires à ses instincts.

La mise en scène de Namouna est splendide : les deux derniers décors sont merveilleux.

Mme Rita Sangalli a dansé et mimé le rôle de Namouna avec ce talent plein de force qui s’impose à ceux mêmes qui sont le plus insensibles aux grâces de la chorégraphie. À côté d’elle, Mlle Subra a obtenu un vif succès dans son pas du second acte. Mlle Biot joue avec intelligence le petit rôle travesti de l’esclave Andrikès.

M. Mérante est toujours le danseur gracieux et correct qui ne saurait être remplacé. M. Pluque joue le traître Andriani avec toute la férocité que comporte le personnage. N’oublions pas aussi M. Vasquez dont les entrechats et les pirouettes font le bonheur des habitués de l’Opéra. […]

Gaston Serpette

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