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Semaine théâtrale. Reprise de Namouna

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SEMAINE THÉÂTRALE
Opéra. – Reprise de Namouna, ballet en deux actes et trois tableaux de Ch. Nuitter et Petipa, musique d’Edouard Lalo (30 mars 1908).

À l’époque de la première représentation du Roi d’Ys a l’Opéra-Comique, en mai 1888, on racontait que, plusieurs années auparavant, M. Vaucorbeil, inspecteur des beaux-arts, avait terminé un rapport au ministre en déclarant, à propos de ce bel ouvrage qu’aucun théâtre n’avait encore accepté, que la France « se déshonorerait en ne jouant pas une pareille musique ». On sait que M. Vaucorbeil, devenu directeur de l’Opéra, s’est refusé à monter le Roi d’Ys, et imposa non seulement à Lalo la composition d’un ballet, mais exigea qu’il accepterait le scénario de Namouna, sur un sujet tiré des Mémoires de Casanova. Tout refus était impossible, il fallait être joué. On était au 30 juillet 1881 ; la partition devait être livrée le 31 octobre. Le maître, alors âgé de cinquante-neuf ans, ne put résister à l’excès de travail auquel il dut s’astreindre ; une attaque d’hémiplégie l’obligea au repos avant que la tâche ne fut terminée. Il restait trois morceaux à orchestrer ; Gounod voulut bien s’en charger. La répétition générale eut lieu le 7 février 1882, mais une indisposition de Mme Sangalli, à laquelle tout le monde n’a pas ajouté foi, vint tout remettre en question. Il paraît toutefois que la danseuse tomba ensuite réellement malade, de sorte que la première représentation ne put être donnée que le 6 mars. Namouna était, sur l’affiche, accompagnée du Comte Ory. L’œuvre ne réussit pas et n’occupa la scène que pendant seize soirées. Elle reparaît aujourd’hui, non sans éclat, vingt-six ans après sa création.

Dès le début, la musique de Namouna se pose en larges couches sonores. Un joli cantabile leur succède ; nous l’entendrons souvent dans la suite, et c’est sur son rythme ondoyant que nous verrons, au dénouement, s’éloigner sur les eaux de la mer Ionienne la tartane avec sa grande voile latine teintée de rouge et de rose, qui portera vers quelque île de rêve Namouna, l’esclave rachetée, et Don Ottavio enlacés. Car c’est une toute simple histoire d’amour qui va passer sous nos yeux au moyen de belles pantomimes.

Namouna, l’esclave charmante, appartenait au forban Adriani. Ayant perdu, au casino de Corfou, sa barque et le produit de ses rapines, il l’a offerte comme dernier enjeu, et la chance a tourné contre lui. Don Ottavio, devenu le maître de la jeune fille, s’empresse de lui rendre la liberté, car elle l’intéresse, mais non pas toutefois par amour ; il aime en effet une grande dame du nom d’Héléna. Namouna, au contraire, est subjuguée par lui ; elle n’aura plus qu’un désir, qu’un but, attirer son attention et prendre une place dans son cœur. La musique, brusque et tumultueuse pendant la scène du jeu, laisse s’exhaler ce sentiment tendre dans une mélodie langoureuse, dont chaque membre, bien symétrique, comprend huit mesures, et dont le second, avec ses timides montées par demi-tons, est un ravissement pour l’oreille.

Ainsi finit le prologue. Au lever de la toile d’avant-scène, pour le premier acte, l’orchestre exécute un prélude symphonique de très noble allure. Les violons et les harpes scintillent à l’aigu, pendant que se développe un large thème de violoncelles, auquel répond bientôt le cantabile du début qui maintenant se passionne et s’exalte. On est étonné de trouver là ce morceau si ferme et si fort ; c’est un prélude ; il devrait être placé en tête de l’ouvrage, car il en résume musicalement l’action tout entière.

Quand le second rideau s’écarte, nous sommes dans une sorte de carrefour, à Corfou. C’est le temps et le lieu de la foire. Ottavio fait exécuter une sérénade sous le balcon d’Héléna. Adriani, le joueur ; malheureux, met en fuite les ménétriers et provoque Ottavio. Namouna, déguisée en bouquetière, intervient auprès des duellistes, danse en leur offrant des fleurs et les oblige à se séparer. Ils jurent de se revoir l’épée à la main. La fête foraine s’ouvre par d’éclatantes fanfares ; on en entendra de tous côtés, sur le balcon d’Héléna, au fond du carrefour, puis à droite, sur des tréteaux disposés pour une parade populaire. La musique est ici extrêmement perçante, mais ingénieuse comme effet, et agrémentée de très heureux divertissements.

C’est d’abord un pas très gracieux, dans lequel chaque danseuse agite en ses mains et frappe en cadence de petites cymbales. Vient ensuite une pantomime de Namouna cherchant à inspirer un sentiment à Ottavio. Elle se présente à lui en déployant une grâce espiègle et mutine, secondée en ses poses exquises par une mélodie de valse lente qui est une merveille de style. Vers la fin, Mlle Zambelli achève son jeu de séduction en acceptant une cigarette qu’elle porte à ses lèvres et dont elle imite les tourbillonnantes fumées sur les dernières phases de son joli thème, jouées en prestissimo. On se souvient peut-être qu’en 1882 il fut interdit d’allumer la cigarette ; l’interdiction a été maintenue, mais cela n’a nullement nui au succès de Mlle Zambelli dont la mimique a été charmante et la virtuosité très remarquée.

Quelques pages moins captivantes prolongent avec variété ce final d’acte ; ce sont un Tambourin, deux Airs marocains notés pendant l’exposition universelle de 1878, une Gitane, enfin les parades de foires, qui jettent de nouveau leurs stridents appels. Le peuple envahit les alentours des voitures foraines ; au-dessus du tumulte de la rue planent, par intermittences, quelques phrases passionnées ; elles indiquent les prières et supplications qu’Ottavio adresse à Héléna. Mais, tout à coup, l’amoureux se voit entouré de spadassins conduits par Adriani ; ces bandits sont à leur tour mis en fuite par les marins de Namouna, qui se saisissent d’Ottavio et l’entraînent jusque sur une tartane amarrée au rivage, en lui montrant une dame voilée qui observe et commande. Il s’agit d’un enlèvement. La dame, qui n’est autre que Namouna, monte également en barque, laissant aux brises le soin de conduire sa petite flottille, pendant que la fête populaire bat son plein dans une sorte de vertigineux tournoiement.

Une île de la mer Ionienne, offrant aux regards des ruines de temples antiques, est la demeure d’Ali, marchand d’esclaves. Toutes belles, toutes paresseusement couchées, ses captives se livrent aux langueurs d’un demi-sommeil pendant l’heure de la sieste. Entre temps quelques-unes dansent séparément ou forment des ensembles. Au loin, sur les flots tranquilles, apparaît une barque balancée mollement, pendant qu’un long motif, au grave de l’orchestre, semble traduire les murmures sourds de l’eau dans les profondeurs, à travers les récifs. C’est là une musique imitative d’un genre original, dont ou n’a pas encore abusé. Mais qui donc arrive, qui débarque ? C’est une dame voilée ; elle vient acheter toutes les esclaves, ses anciennes compagnes, et leur rend la liberté. Ottavio s’approche d’elle, touché de sa générosité ; elle laisse tomber son voile, il reconnaît la belle bouquetière, il tombe dans les bras de Namouna. L’orchestre chante délicieusement pendant cette scène d’amour. Un thème varié d’une poésie rêveuse s’élève doucement, c’est comme l’épithalame de ces fiançailles commencées. Ottavio et Namouna dansent au milieu de gerbes de fleurs ; c’est délicat et charmant. Un solo de flûte, étincelant et chatoyant à la fois, emporte Namouna dans un rythme binaire d’un tour aussi léger qu’imprévu. Des pirates viennent troubler cette fête ; Adriani les conduit, mais les dieux veillent sur les amoureux et favorisent la beauté ! Les belles affranchies enivrent de volupté les corsaires, et leur chef qui a voulu s’élancer sur Namouna est poignardé par une des jeunes filles. Aussitôt Ottavio, Namouna et leur joli cortège féminin, montent sur la tartane aux voiles roses et s’éloignent à travers les flots bleus, pendant que la musique exprime, dans une tonalité plus passionnée qu’au début, le charme de cette course d’amour au bercement des vagues. Tout est fini et tout commence. Namouna a conquis Ottavio.

Le libretto de Namouna n’est pas un chef-d’œuvre ; il a permis d’établir une mise en scène de bon goût, mais sans aucun de ces groupements somptueux et d’une belle ligne, qui forment, pour les yeux, un spectacle dont l’effet d’ensemble n’est pas à dédaigner, surtout vu de loin. Namouna est un ballet à regarder plutôt de près. Mlle Zambelli en est l’étoile presque constamment devant nous. Elle a le sens du rythme, qui semble vivre en elle et animer tous ses mouvements. Ils prennent ainsi une signification et rendent la musique suffisamment parlante, captivante et précise. Mlles Meunier, G. Couat, L. Piron, Sirède, MM. L. Staats, excellent Ottavio, Girodier et Ferouelle ont très agréablement dansé ou mimé leurs personnages.

La musique de Lalo est essentiellement remarquable par la fermeté du contour. Des morceaux comme le thème varié, la valse lente en la mineur, le solo de flûte, ont une incontestable valeur d’invention, de style et d’orchestration. Ce sont de petits chefs-d’œuvre par l’ingéniosité de leur facture et par le tour original qui les distingue. Le nombre des pages médiocrement venues est très restreint dans Namouna, mais il est impossible de ne point remarquer une sorte de déséquilibre entre la sonorité très crue de certains morceaux et la suavité, la discrétion, la finesse et l’élégance des autres. Les situations, il est vrai, ne sont pas les mêmes ; cependant le défaut subsiste ; il fut vivement senti en 1882. La fécondité d’imagination de Lalo pour varier les rythmes paraît rarement s’épuiser ; on vole de surprise en surprise à travers la partition de Namouna, et, si parfois la puissance créatrice y faiblit tant soit peu, le prestige de quelque effet imprévu orchestral ou rythmique rehausse singulièrement telle ou telle partie moins réussie qu’une autre, et lui prête un charme d’imprévu tout particulier. Ainsi, sur une jolie personne, un bijou, une parure placés au bon endroit, ajoutent, à sa démarche, à ses attitudes, un attrait neuf et piquant.

L’interprétation de Namouna par l’orchestre a été animée et chaleureuse ; d’un grand charme parfois. M. Paul Vidal l’a dirigée avec une magistrale sûreté de main, donnant la plus complète impression d’une vie musicale intense.

Cette reprise s’est affirmée comme un succès. Sera-t-il durable ? Il faut l’espérer. Elle a toujours un double mérite, l’œuvre qui peut renaître et réussir, en reprenant pour la seconde fois son essor plus d’un quart de siècle après son heure.

AMÉDEE BOUTAREL.

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Amédée BOUTAREL

(1855 - 1924)

Composer

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(1823 - 1892)

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