Phèdre
Quoique le sujet de Phèdre soit extrêmement connu, nous donnerons cependant l’analyse du nouvel Opéra qui porte ce titre, afin qu’on puisse comparer la marche du Poëme lyrique avec celle de la Tragédie de Racine, & juger des endroits où l’Auteur a été forcé de s’écarter de son modèle.
Le Théâtre représente une campagne voisine de Tresène. On y voit un Temple consacré à Vénus. Le jour est à son aurore. Hyppolite partant pour la chasse presse ses compagnons, & ils adressent ensemble une invocation à Diane pour obtenir sa protection. Une Prêtresse de Vénus, en annonçant l’arrivée prochaine de Phèdre dans le Temple, fait observer aux chasseurs que ce lieu ne doit retentir que du nom de Vénus ? Ce nom inspire une sorte d’horreur aux suivants de Diane, & ils s’éloignent en recommençant leur hymne. Phèdre paroît, & ses regards prolongés sur Hyppolite tout le temps qu’elle peut le voir, indiquent la passion dont elle brûle pour lui. Elle s’adresse ensuite à la Déesse, & lui redemande le calme qu’un feu dévorant a banni de son cœur. On fait un sacrifice, & les Prêtresses mêlent leurs chants à celui des femmes de la Cour. Phèdre s’égare dans les vœux qu’elle forme elle se représente les objets que sa passion désire, & finit par s’écrier :
Je le vois… je l’entends… voilà le plus vaillant
Des Satellites de Diane.
Le nom de Diane ainsi prononcé dans le Temple de Vénus indigne les Prêtresses ; elles le répètent avec horreur comme celui de Vénus a été répété par les chasseurs attachés à Diane. Phèdre sent sa faute, s’excuse sur son délire. Ses femmes se jettent au pied de l’autel de la Déesse pour implorer son pardon. La Reine veut rester seule avec Œnone.
Cette femme qui lui est tendrement attachée s’informe de la cause de ses maux. Phède, honteuse de ses criminels sentiments, laisse deviner plutôt qu’elle ne le dit formellement qu’elle aime, & qu’Hyppolite est l’objet de sa passion. Œnone lui en fait sentir les dangers, lui rappelle son époux… À l’instant on vient apprendre à la Reine que Thésée, descendu dans les royaumes sombres, ne doit plus espérer de revoir la clarté du jour. Œnone regarde cet événement comme favorable à l’amour de Phèdre ; & tandis que le peuple l’invite à faire monter son fils sur le trône afin d’en ravir l’espoir à Hyppolite, cette femme complaisante fait rentrer l’espoir dans son cœur.
L’Acte suivant se passe dans le Palais. Phèdre a été nommée par le peuple. Son fils a le Couronne. Hyppolite n’y doit plus prétendre, & elle s’informe de l’effet que cette nouvelle a produit sur l’âme de ce jeune Héros. Sa soumission l’enflamme encore davantage. Elle fait part à Œnone du projet qu’elle a de le couronner. Celle-ci, après de foibles remontrances, non seulement s’y prête, mais a pris sur elle de faire venir Hyppolite devant la Reine. Phèdre, déjà tourmentée par ses remords ; effrayée même de l’espoir qu’elle a conçu, ne sait si elle doit l’attendre. Elle veut le fuir ; mais il arrive. Cette scène est celle de la déclaration, Phèdre laisse échapper peu-à-peu son secret ; veut quelquefois le retenir ; mais enfin quand sa passion est bien connue & qu’elle la voit méprisée par celui qui l’inspire, elle se livre alors à toutes les fureurs de l’amour. Dans ce moment on vient annoncer l’arrivée de Thésée. C’est un coup de foudre pour cette épouse coupable, ainsi que pour Œnone. Hyppolite vole au devant de son père, mais en se promettant à lui même de ne lui rien révéler de cette horreur.
Chœur de peuple qui célèbre l’arrivée inespérée du Roi. Thésée jouit de leurs sentimens, & après un divertissement, il s’étonne de ce que Phèdre n’est pas à leur tête. Il veut voir la Reine, & conduire Hyppolite chez elle. Ce Prince s’en défend, & demande même à son père la permission de s’éloigner de ses États, sans lui découvrir son véritable motif. Thésée, qui l’attribue à la haine qu’il croit que Phèdre a conçue pour le fils de l’Amazone, se plaint avec douleur de cette division, & prie les Dieux de faire renaître dans son Palais le calme qu’il a rendu à la terre.
Au troisième Acte Œnone, qui a craint l’indiscrétion d’Hyppolite, a voulu la prévenir en accusant ce Prince auprès de Thésée d’avoir voulu attenter à l’honneur de la Reine. Thésée la croit. L’absence même de Phèdre, qui l’évite depuis son retour, lui paroît confirmer la vérité de cet attentat. Il implore la puissance de Neptune, qui lui a promis d’exaucer le premier de ses vœux. Son vœu est le châtiment de son fils. Hyppolite vient, est surpris du courroux de son père, qui ne lui laisse pas ignorer le crime dont on l’accuse. Sa justification n’est point écoutée. Thésée, toujours furieux, part en lui ordonnant un éternel exil. Scène touchante des amis d’Hyppolite qui ne veulent point l’abandonner. Le Théâtre reste vide, & Phèdre paroît seule. Elle ignore le destin d’Hyppolite, & n’est agitée que de ses remords. Œnone vient lui apprendre ce qu’elle a fait pour elle, & l’accusation dont elle a chargé le Prince dans le dessein de la sauver. Phèdre en est révoltée, & chasse Œnone avec toutes les marques de sa haine & de son indignation. Restée seule, elle sent que la mort est la seule ressource, & ne veut plus vivre que jusqu’à ce qu’elle ait justifié l’innocence. Dans son désespoir elle atteste les Dieux & les enfers. Le tonnerre gronde, une tempête épouvantable s’élève. Le peuple & Thésée lui-même cherchent à calmer le courroux du Ciel. Ce Roi craint pour les jours de son fils qu’il a lui-même proscrit. On vient lui annoncer sa mort. Un monstre, envoyé par Neptune, l’a entraîné avec lui. Phèdre, à cette nouvelle, ne garde plus de mesure. Elle déclare son crime, & se tue aux pieds de Thésée, dont le désespoir a d’autant plus de violence, qu’il apprend que son fils étoit innocent.
Cet Ouvrage a eu du succès à la première représentation. On a vivement senti un grand nombre de beautés musicales qui s’y rencontrent. On a su gré à l’Auteur du Poëme de la simplicité de la marche & du parti qu’il a su tirer de ce sujet. Le succès auroit été plus grand (& pourra l’être par la suite) si quelques langueurs qu’on a remarquées dans l’action, & même dans la musique, n’avoient pas souvent rallenti l’intérêt que les beautés commençoient à inspirer. Mais les Auteurs ont annoncé, pour les représentations suivantes, des retranchemens qui ne pourront être qu’avantageux. Nous parlerons plus en détail dans le Numéro prochain des choses qu’on le plus admirées dans le poëme & dans la musique, ainsi que de celles qu’on y a critiquée. Tout ce que nous pouvons dire à présent, c’est que M. le Moine, qui nous avoit déjà donné la musique d’Électre, paroit avoir singulièrement profité des conseils du Public ; qu’en écartant tout système, & en se livrant davantage à l’impulsion naturelle de son génie, il prouve un talent le plus précieux, qui n’a besoin que d’être encouragé.
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Phèdre: the critical reception
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/François-Benoît HOFFMAN
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publication date : 14/01/24