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Spectacles. Phèdre

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Spectacles
Académie royale de musique.

On a dit par-tout avec raison, on a répété depuis long-temps qu’il y avoit le plus grand danger à s’emparer des Tragédies de nos grands Maîtres, pour les transformer sur le Scène de l’Opéra. Quoiqu’on soit obligé de donner au nouveau Poëme une marche différente, on ne peut jamais s’éloigner assez des idées du Poëte qu’on imite, pour ne pas les rappeler souvent. Si on lui prend ses vers, tels qu’ils sont, nécessairement on les défigure, tant les formes que la musique exige, tant par le voisinage de ceux qu’on est obligé d’y ajouter. Si on s’en tient à ses idées ; ces idées font renaître dans la tête de tout le monde, qui les sait par cœur, les beaux vers qui ont servi à les exprimer. Quel est l’homme aujourd’hui qui peut se croire en état de soutenir cette lutte, sur-tout lorsque Racine est le modèle qu’il a choisi ? Nous ajouterons même que quand l’imitateur a dans son style une sorte d’élégance, de la grace, de la facilité, cette rivalité n’en est que plus dangereuse, en ce qu’il invite davantage à la comparaison. C’est ce qui est arrivé à l’Auteur de Phèdre. Sa poésie a paru douce, agréable, facile, mais obligé souvent d’exprimer les mêmes idées que Racine, ses vers n’ont pu se soutenir à côté de ceux d’un pareil rival. Nous ne croyons pas avoir besoin d’étayer cette vérité par des citations. Nous ne pensons pas que M. *** lui-même la révoque en doute, ni qu’il ait eu la prétention de l’emporter sur son modèle. Au-dessous de Racine il est encore des places qu’on peut être flatté d’occuper.

Au reste, ce désavantage n’est guères sensible qu’à la lecture, il influe fort peu sur le succès de la représentation. Ce qui nuit davantage au nouvel Opéra, c’est la lenteur avec laquelle sont conçues quelques Scènes ; c’est qu’il manque souvent de ces oppositions si nécessaires à la musique, & que de ce défaut résulte une monotonie qui, au milieu des plus belles choses, inspire la distraction, le refroidissement & l’ennui. Nous en citerons des exemples. Hyppolite ouvre la Scène : il part pour la chasse ; & comme Diane est sa Déesse tutélaire, il lui adresse un hymne, répété par ses compagnons :

O Diane ! chaste Déesse, &c.

La même Scène en contient un autre, ou, si l’on veut, une prière.

Déesse des bocages,
Appelle les Zéphyrs,
Défends aux noirs orages
De troubler nos plaisirs.

La Scène troisième commence par un hymne à Vénus :

Divine Cithérée, &c.

chanté par la Cour de Phèdre, puis celui-ci, chanté par les Prêtresses :

Vénus, du haut des cieux, &c.

Puis dans la même Scène, lorsque Phèdre indiscrètement a prononcé le nom de Diane, ses femmes adressent encore une prière à Vénus :

Pardonne-lui, Déesse tutélaire, &c.

Hyppolite, au troisième Acte, adresse encore une prière à Diane & une invocation à l’Amitié ; Thésée en fait une à Neptune.

Certainement c’est un manque d’adresse, & qui vient du peu d’habitude de la Scène, d’avoir ainsi accumulé coup-sur-coup des morceaux du même genre. Il est vrai qu’ils auroient pu du moins ne pas avoir le même caractère, & il faut convenir que le Compositeur mérite des reproches pour n’avoir pas fait assez cette attention. Son premier hymne à Diane est d’un chant délicieux, d’un effet charmant, & il a été fort applaudi ; mais s’il convient à la Déesse à qui on l’adresse, peut-être ne convient-il pas également au caractère de ceux qui le chantent. Le jeune Hyppolite, dont le cœur est encore insensible, qui ne respire que les plaisirs bruyans & gais de la chasse, devoit s’annoncer peut-être avec plus d’éclat et de vivacité. Il en seroit résulté un contraste heureux entre cette Scène & la suivante. On pouvoit opposer son allégresse au ton mélancolique de Phèdre, & à celui-là, l’expression voluptueuse des Prêtresses de Vénus.

Mais le plus grand reproche à faire à l’Auteur du Poëme, c’est la faiblesse du rôle d’Hyppolite, & sur-tout la légèreté avec laquelle Thésée croit l’imputation faite contre lui. On excuse à peine ce Roi dans la Tragédie de Racine, quoiqu’Hyppolite y soit accusé par Phèdre elle-même, c’est-à-dire, par une femme adorée, qui a toute la confiance de son époux ; & quoique l’épée d’Hyppolite, restée entre les mains, puisse paroitre à Thésée une preuve suffisante de l’attentat de son fils. Mais ici, c’est sur le rapport d’Œnone, d’une nourrice, d’une femme mercenaire, sans chercher même auprès de Phèdre à s’assurer de la vérité de cette accusation ; c’est sans la voir & sans être ému de la justification touchante de son fils, que ce père, qui a paru tendre jusqu’ici, dévoue Hyppolite à la vengeance de Neptune ! Ce moyen, qui blesse toutes les convenances, affoiblit beaucoup sans doute l’intérêt du dénouement.

Nous avons dit que le style de cet Ouvrage étoit facile & agréable. On y trouve cependant des négligences fréquentes. C’est une petite idée que celle d’avoir fait répéter avec effroi le nom de Vénus par les Chasseurs, & celui de Diane par les Prêtresses de Vénus. Cette dernière situation manque même de justesse. Si dans le Temple de Vénus Phèdre avoit invoqué Diane, ç’auroit été en effet une profanation ; mais elle ne fait que prononcer son nom indirectement ; elle dit seulement qu’elle voit

Le plus vaillant
Des Satellites de Diane

Il n’y a pas là de quoi se fâcher.

Les vers suivans n’ont pas paru d’un ton convenable au rang & au caractère de Phèdre

Oui, c’est lui… Les voilà ces funestes attraits ;
Je l’entends ; il me dit : coupable, je te hais ;
Je lui réponds : je t’adore.

Œnone voulant dire qu’Hyppolite est encore insensible à l’amour, dit :

Le doux accent de la Nature
Est encore muet dans son cœur,

L’accent de la Nature signifie plus ordinairement les sentimens qui naissent des liaisons du sang que ceux de l’amour, & cette expression est ici d’autant plus équivoque, qu’Œnone vient de parler de l’attachement d’Hyppolite pour son père, & qu’elle semble contredire ce qu’elle a dit.

On a lieu de s’étonner que cette même Œnone, à l’instant où elle excite la Reine à se livrer à son penchant, lorsqu’elle l’a enfin déterminée, s’écrire :

Pardonne-lui, ciel qui vient de l’entendre.

Si elle a besoin du pardon du ciel, cet amour est donc un crime ; si c’est un crime, peut-elle en même temps en convenir & le confesser ?

Il y a aussi quelques incorrections, telles que ce vers d’Hyppolite :

O Diane, aujourd’hui, quand tu reçus mes vœux.

Il faut quand tu as reçu ; l’aoriste est un solécisme. Malgré ces tâches, on trouve en général dans cet Opéra, de la grace & beaucoup de vers heureux. Le monologue de Phèdre, à la seconde scène du deuxième acte, en est un exemple. La Scène de l’aveu fait par la Reine à Œnone, paroîtroit aussi très-bien écrite, si celle de Racine n’existoit pas. Celle entre Phèdre & Hyppolite est peut-être trop longue pour la Musique. Il y a sur-tout un long couplet écrit d’une manière vague & traînante, qui la refroidit extrêmement, & qu’on fera très-bien de supprimer, ou au moins de raccourcir. C’est celui :

O Ciel, qu’ai-je fait, qu’ai-je dit ?

Tout ce que dit Phèdre depuis ce vers :

Que ne puis-je vous rendre
Tout le plaisir que je goûte à vous voir ;

est entièrement inutile à l’action, & ne sert qu’à la rallentir.

Le morceau de l’arrivée de Thésée n’est pas non plus bien placé. Il n’est pas naturel qu’à l’instant de son retour, au lieu de voir sa femme & ses enfans, il s’amuse à parler de ses exploits, ni qu’il insiste sur cette maxime générale.

… Être aimé, voilà le vrai bonheur.

La Scène du départ d’Hyppolite pour son exil est fort touchante ; il faudroit que le morceau de la fin fut moins longuement mené.

Résulte-t-il de ces critiques, peut-être un peu sévères, que le poëme de Phèdre soit un mauvais ouvrage ? Nous sommes très-loin de le penser. Nous croyons au contraire que l’Auteur, un peu plus instruit de la marche, des convenances de ce Théâtre, plus habitué au joug de la Musique, est un de ceux qui annoncent le plus de talent pour s’y distinguer avec éclat, & on ne peut que l’inviter à de nouveaux efforts. Nous n’avons tant insisté sur les défauts de son Ouvrage, qu’à cause de l’influence qu’ils ont eu sur la musique.

Il est certain qu’il y a de la monotonie dans les premières Scènes, ainsi que nous l’avons fait remarquer ; elles tiennent en partie à l’uniformité des morceaux donnés par le poëte ; mais il faut convenir aussi que le compositeur n’a pas fait tout ce qu’il pouvoit pour les sauver. Le premier Acte est cependant celui qui a le plus réussi ; c’est qu’il contient beaucoup de morceaux agréables par eux mêmes, & que la langueur qui nait de leur trop grande ressemblance ne se fait sentir qu’à la longue, & semble ainsi ne porter que sur les morceaux suivans.

M. le Moyne a essayé dans plusieurs Scènes de remplacer le récitatif, par du chant proprement dit. Cette idée, conformer à l’opinion d’un homme de beaucoup d’esprit qui a écrit sur la Musique d’une manière très-ingénieuse, devoit être en effet plutôt tentée que discutée : l’expérience étoit plus propre à l’éclaircir qu’aucune espèce de raisonnement. Mais quoiqu’en l’exécutant, M. le Moyne ait toujours conservé un chant noble, gracieux, conforme au caractère & à la dignité des personnages, il a prouvé que cette manière n’est pas sans inconvénient. Lorsqu’une Scène est un peu longue, & qu’animée d’une seule passion elle n’en doit offrir que le développement, il en résulte que la situation long-temps la même, n’offre pas à la Musique assez de moyens de variété. Telle est la Scène de Phèdre & d’Hyppolite ; celle de Phèdre et d’Œnone est aussi un peu dans ce cas. Il ne faut conclure que ce moyen ne pourroit guère être employé que pour des Scènes ou pour des Actes très-remplis de mouvement. M. le Moyne a senti lui-même ce défaut, & toutes les fois qu’il a pu trouver des morceaux d’une expression vive, il les a traités de manière à produire beaucoup d’effet. Ceux qu’on a le plus distingués, sont l’hymne à Diane, dans la première Scène ; la prière à Vénus, chantée par les femmes de Phèdre ; l’air de cette Reine qui termine la quatrième Scène. Le duo entre Phèdre & la nourrice au deuxième Acte, le monologue de Phèdre, l’invocation de Thésée à Neptune ; la justification d’Hyppolite au troisième Acte ; les adieux de ce Prince, & sur-tout le monologue de Phèdre poursuivi de ses remords. Ce morceau n’est qu’un récitatif, mais la manière dont il est conçu, les accens mystérieux, profonds, terribles de l’Orchestre, doivent donner le plus haute idée des talens de M. le Moyne. Si tout l’Ouvrage étoit de ce mérite, il pourroit déjà prétendre au rang le plus distingué à côté des plus grands Maîtres. Mais assez de morceaux dans cet Ouvrage doivent lui donner l’espoir d’y parvenir un jour, s’il continue d’étudier les ressources de son art, dont il nous paroît avoir le sentiment parfait, & s’il parvient à faire disparoître une teinte de mélancolie qui se répand quelquefois sur une grande expression.

Le récitatif, fait avec beaucoup d’esprit, souvent de la profondeur, a toute la simplicité qu’exige ce genre de Musique ; c’est peut-être la seule qualité que le Compositeur y doive chercher quand il en a bien conçu la déclamation ; c’est à l’Acteur à faire le reste. C’est de lui seul que dépend, que doit dépendre toute l’expression. Nous avertirons seulement M. le Moyne, qu’il n’est pas plus permis de déformer les vers dans la déclamation chantée, que dans la déclamation parlée. Il a fait quelquefois cette faute, comme dans les deux premières vers qu’il a coupé ainsi :

Le jour paroît,
Déjà l’aurore a rougi la cime des monts

Ce ne sont plus des vers. Il falloit appuyer légèrement sur le mot aurore, pour faire sentir qu’il termine le vers.

En attribuant à l’Acteur le plus grand mérite du récitatif, c’est dire assez combien celui de Mme Saint Huberty a paru sublime. Il est impossible d’employer des inflexions plus vraies, mieux senties & plus nobles. Toutes les nuances de la passion sont exprimées par cette grande Actrice, & elle ne mérite pas moins d’éloges dans son chant que dans la déclamation. Oserons nous cependant mêlé à ce juste hommage la voix de la critique, ou plutôt un simple conseil ? Tout ce qui est au-delà de la perfection est un défaut ; l’excès de la vérité lui-même en est un. Entraînée quelquefois par cette vérité, par l’expression de la situation dont elle est vivement pénétrée, il arrive à Mme Saint-Huberty de quitter la voix musicale pour prendre la voix parlée. Ce n’est qu’un cri, ce n’est que pour un moment, mais ce moment est désagréable. Elle a paru s’apercevoir que ces endroits sont moins applaudis que le reste ; quand ils le seroient davantage, Mme Saint-Huberty est au-dessus de ce léger triomphe, elle y devroit renoncer. Dans les arts d’imitation, il faut que l’art ne soit pas perdu un seul instant de vue. Un funèbre morceau de sculpture, s’il étoit peint, le fût-il parfaitement, perdroit tout son effet. Il ne faut pas approcher de la nature au-delà du terme accordé à l’art. Mme Saint-Huberty a trop approfondi le sien, pour ne pas être convaincue de cette vérité qu’il suffit sans doute de lui rappeler.

M. Rousseau a chanté le rôle d’Hyppolite avec une grâce infinie, une sensibilité précieuse. Chaque jour il acquiert de nouveaux droits à l’estime & aux applaudissemens du Public. M. Chéron n’en a pas moins mérité dans le rôle de Thésée, par la noblesse de sa représentation, & par sa voix franche & sonore, à laquelle sa longue maladie n’a rien fait perdre de sa beauté. Mlle Gavaudan mérite aussi les plus grands éloges, pour la manière dont elle a rendu le rôle d’Œnone.

Il y a peu de divertissemens dans cet Ouvrage, mais ils sont très-bien entendus. Nous sommes fâchés seulement d’avoir à faire un reproche (qui pourra paroître un peu extraordinaire) aux Prêtresses danseuses de Vénus. Trop pénétrées de la dignité de leur ministère & de l’acte religieux qui les occupe, elles oublient que c’est Vénus qu’elles servent, & elles affectent une modestie, une pudeur, un recueillement qui conviennent mal aux Initiées de cette déesse. On les prendroit pour des vierges de Diane ou de Vesta ; c’est ce dont elles doivent bien se garder. Vénus est la déesse des plaisirs ; ses Prêtresses en doivent rappeler l’image. Mlle Guimard devoit leur servir de modèle ; son maintien folâtre, sans manquer de noblesse, & voluptueux sans indécence, annonce assez quelle est la Déesse dont elle dessert en ce moment les autels.

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Conductor, Composer

Jean-Baptiste LEMOYNE

(1751 - 1796)

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François-Benoît HOFFMAN

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publication date : 14/01/24